Margarita, avec un A. Évacuons d'emblée la possible confusion entre les deux marguerites. Contrairement à la pizza Margherita (qui se mange), la Margarita est un cocktail (qui se boit). Il sera évidemment ici question de la seconde, dont les origines se perdent quelque part entre le Mexique et les Etats-Unis, dans les années 1930 à 1950.

 

Fraîcheur extrême. Lorsque l'on évoque le Mexique, la Margarita est sans conteste le premier cocktail qui vient en tête. Avec de la tequila, du jus de citron vert et du triple-sec (nom générique donné aux liqueurs d'oranges), elle est préparée au shaker. On la verse traditionnellement dans une coupette aux bords garnis de cristaux de sel, mais les Mexicains la servent volontiers on the rocks. Ce breuvage jaune clair, à la texture limpide, est «le cocktail acidulé par excellence, avec une attaque tonique du citron vert et un côté extrêmement rafraîchissant», commente Fabien Theisgen, le responsable des bars de l'Hôtel La Réserve, à Genève. Pour une version classique, celui-ci s'autorise un peu de sucre (du sirop d'agave en l'occurrence), tandis que sa version revisitée inclut un autre ingrédient indissociable du Mexique: le piment.

Recette

Pas ou peu de sucre. Cette combinaison de spiritueux, d'une liqueur et de jus de citron classe la Margarita dans la famille des «Daisy», du nom du cocktail éponyme inventé en 1876 par un barman considéré comme l'un des fondateurs de la mixologie, l'Américain Jerry Thomas. Simplement résumé, «les Daisy désignent aujourd'hui les cocktails proches des sour, où une liqueur remplace tout ou partie du sucre», éclaire Fabien Theisgen. Le Daisy historique, ou Brandy Daisy, contenait ainsi du brandy, du cordial d'orange et du jus de citron. Le Sidecar et le Cosmopolitan, deux autres grands classiques, font également partie de cette famille.

 

Une marguerite? De quand date la Margarita? Dès 1936, le «Moville Mail», un journal d'Iowa (USA), parle d'un cocktail mexicain qui lui ressemble étrangement: le Tequila Daisy, qu'un journaliste a goûté lors d'un passage à Tijuana. Pour certains, ce cocktail ne serait rien d'autre qu'une Margarita. Car le mot margarita, en espagnol, signifie marguerite. Tout comme le mot anglais… daisy. Autrement résumé, la Margarita serait une hispanisation du daisy, dans la recette et dans le nom. La première mention du nom de cocktail Margarita ne survient quant à elle que bien plus tard, en 1953, dans plusieurs titres dont le célèbre magazine «Esquire». L'origine du cocktail voyagerait tantôt au Mexique (Ensanada, Playas de Rosarito), tantôt aux Etats-Unis (Los Angeles).

À Acapulco, ou ailleurs? Reste à savoir qui a inventé la Margarita. Et pour cela, plusieurs hypothèses s'affrontent. L'une d'elles veut que la Margarita ait été créée par une riche Texane nommée Margaret (!) Sames, lors d'une fête organisée chez elle à Acapulco, au Mexique, en 1948. Présent à la sauterie, Tommy Hilton aurait apprécié la boisson, et l'aurait ensuite popularisée dans les bars des hôtels éponymes.

 

Une version «officielle»? Mais Fabien Theisgen préfère une autre hypothèse: celle liée à Danny Herrera, propriétaire du bar Rancho La Gloria, à Playas de Rosarito, dans la Baja California mexicaine. Celui-ci aurait, en 1947 ou 1948, conçu un cocktail pour une cliente, une danseuse nommée Marjorie King. Celle-ci ne supportait aucun alcool, sauf la tequila, que le barman aurait adoucie avec un peu de Cointreau (un triple-sec), du jus de citron, et du sel. Il aurait nommé ce breuvage Margarita, hispanisation du prénom Marjorie. «C'est pour moi l'hypothèse la plus crédible», résume Fabien Theisgen, se rangeant ainsi du côté de nombreux médias américains qui ont immortalisé Danny Herrera comme le père de la margarita après son décès en 1992.

Geneve, le 10 juillet 2025. Serie de photos de differents cocktail realise a l Hotel la Reserve par le bartender Fabien Theisgen . © Magali Girardin

À La Réserve, Fabien Theisgen sert sa Spicy Margarita sur un unique glaçon de clear ice.

Coup de théâtre. Malheureusement, cette histoire est vraisemblablement fausse, comme l'a écrit la même année le «San Diego Reader». Pour le quotidien californien, Danny Herrera était un beau parleur qui a tissé sa légende auprès de ses clients et surtout de Syd Love, un journaliste freelance américain qui écumait la Baja California dans les années 1980. Celui-ci aurait écrit l'histoire de la Margarita selon Herrera sans plus de vérification, avant de la raconter à son retour aux Etats-Unis. Publiée dans le respectable «L.A. Times», la légende aurait ainsi été couverte d'un vernis de véracité.

 

Une autre marguerite. Et la Margarita dans tout ça? Selon le «San Diego Reader», elle pourrait avoir été créée en 1941 au restaurant Hussong's Cantina, à Ensenada en Baja California, en l'honneur d'une autre femme, une cliente nommée… Margarita Cesena Henkel. Encore une. Une information elle-même difficilement vérifiable. La multitude de légendes autour de ce cocktail a au moins le mérite de confirmer que si la Margarita excite autant l'imaginaire, c'est sans doute parce que cette délicieuse boisson mérite sa place au panthéon des cocktails.

Photos: Magali Girardin