Huîtres et champagnes. Il aura fallu attendre le 20 de ce mois pour qu’elle fasse son apparition. Après des premiers jours de novembre aux airs d’été indien, la neige dépose enfin ses premiers flocons au bord du Léman. Sur la terrasse de la Brasserie du Royal Savoy, dans le petit chalet de bois qui abrite son banc de l’écailler, Evelyne Pujol s’affaire à préparer les délices iodés qui seront servis ce soir aux amateurs de coquillages et autres fruits de mer.
Apéro festif. Emmitouflée sous une succession de couches de vêtements, les mains plongées dans la glace, la native du Sud ne semble pas autrement perturbée par la chute des températures. Question d’habitude. Et d’expérience, car elle sait le paradoxe : si l’ambiance polaire provoque des envies soudaines de coin du feu, de fondues et de vin chaud, ce temps hivernal est aussi celui que préfèrent les amateurs de coquillages pour braver les frimas et se réunir autour d’un plateau bien garni. Quelques huîtres, quelques bulles… et que la fête commence !

Au Royal Savoy, le banc de l'écailler se concentre sur l'essentiel. Les spéciales Gillardeau, huîtres préférées d'Evelyne Pujol sont aussi celles que préfèrent les clients.
Terroir méditerranéen. Gillardeau (ses préférées pour leur chair charnue et leur saveur de noisette), Fines de Claires, Belon ou Kys… Au cœur de l’hôtel cinq étoiles du Royal Savoy, la spécialiste propose le meilleur : « On ajoute aussi des homards bretons, des crevettes de Madagascar d’excellente qualité et des bulots pour les plateaux. »
Mer généreuse. Recevoir les bourriches d’huîtres fraîchement prélevées de leurs parcs ou préparer un court-bouillon pour cuire ce qui doit l’être, le travail de l’écaillère ne se limite pas à ouvrir à la chaîne, et sans les altérer, des dizaines d’huîtres au gré des commandes. Troisième, et dernière, génération d’une famille de conchyliculteurs de l’étang de Thau, une immense lagune située entre Sète et Agde, la spécialiste à l’accent chantant cultive une passion pour les produits de la mer. Pour ces poissons d’abord, dorades et loups, qu’elle aime pêcher à quai avec vue sur le port de Marseillan. Pour ces coquillages aussi, qui ont longtemps fait vivre les siens. Et ce, jusqu’à ce que les aléas du climat et le fléau de la malaïgue (une asphyxie de la lagune qui fait disparaître une majorité des moules et des huîtres) ne déciment le bassin en 2018.

Passionnée de dessin, Evelyne Pujol aime concevoir ses plateaux comme des tableaux en variant formes, reliefs, couleurs.

Au chaud attablés au Lobby bar ou à l'extérieur autour du brasero, une d'assiette d'huîtres et quelques bulles suffisent pour cultiver l'ambiance festive.
Du sud à l'ouest. Lassée, usée physiquement par un travail harassant, que l’on exerce par tous les temps, des canicules estivales aux glaciales journées de tramontane les pieds dans l’eau, « comme travailler dans une mine à ciel ouvert », Evelyne Pujol a abdiqué. Et choisi de se séparer de l’entreprise familiale. Devenue écaillère, la voici partie sur d’autres rivages, à régaler les clients du bassin d’Arcachon ou de la Bretagne : « Ouvrir des huîtres, c’est toujours raconter une histoire, découvrir une autre manière de faire. En Méditerranée, on mange les huîtres avec du pain et du beurre doux, pour compenser le fait que dans ces régions chaudes, l’évaporation rend les coquillages très salés. En Bretagne, on les déguste avec du beurre salé. À Arcachon, on les mange avec du pâté. »
Lausanne-Sète. Après une saison à l’Épicerie du Pont de Chailly en 2021, c’est, depuis 2023, au Royal Savoy que l’écaillère officie de début novembre à fin mars. De cette parenthèse annuelle lausannoise, Evelyne Pujol retient la beauté de la ville : « J’aime Lausanne parce que c’est une ville de quartier. Je vais vous faire rire mais cela me rappelle un peu Sète, avec ses collines et le fait que partout, il suffit de se retourner pour voir l’eau. » Ce qui lui manque le plus, loin de sa Méditerranée ? Ses deux épagneuls bretons, ses « filles » Elga et Elo, qui la suivent sur les sentiers de l’arrière-pays occitan sur la piste du gibier à poil ou à plume. Parce qu’il n’y a pas que les coquillages dans la vie !
Banc de l'écaillère de la Brasserie du Royal Savoy à Lausanne
Photos: RG&CO.

