Un jeune éclatant. Parfois, les vignerons se demandent comment leur domaine leur survivra, à qui ils pourront le transmettre si leurs enfants ne sont pas intéressés. Chez les Gaillard, dans les hauts d'Epesses (VD), la question est vite répondue, comme dirait l'autre: après Jean-René et Géraldine, dans quelques années encore, c'est leur fils Clément qui prendra la tête du domaine de 15 hectares situés entre Lutry et le Dézaley. À 19 ans seulement, l'homme fait preuve d'une belle maturité, d'analyses et de réflexions pertinentes. Un exemple: c'est lui qui, au printemps 2023 (à 17 ans!), avait convaincu Timea Bacsinszky de créer trois vins en collaboration avec la cave familiale. Ce n'était que le début.
Timea Bacsinszky, Clément et Jean-René Gaillard dans les vignes familiales lors de la sortie de leurs trois cuvées en collaboration.
Géraldine Gaillard gère avec dynamisme l'«œnosnack» du domaine, un mélange entre une buvette et un carnotzet.
Au bord de la faillite. Clément Gaillard a de qui tenir. Son abnégation, sa créativité et son sens du travail lui ont été transmis par son arrière-grand-père Arthur (par ailleurs membre fondateur de l'Union vinicole de Cully), son grand-père René et son père, Jean-René. C'est en 1964 que les premiers vins griffés Gaillard ont été dégustés, avant moult péripéties: l'achat, dans les années 1980, puis la revente, en 2020, d'un domaine dans les Côtes du Rhône ; une situation difficile au début de la crise du coronavirus. «Nous étions au bord de la faillite», raconte Clément.
En avril, la famille Gaillard a accueilli le fromager Claude Luisier pour deux soirées «accords vins-fromages».
Œnosnack. Clément et ses parents ont cependant su sortir de l'ornière. «Au printemps 2020, nous voyions passer jusqu'à 300 personnes par jour devant notre maison, reprend Clément Gaillard. Il y avait quelque chose à faire, assurément!». Géraldine a transformé la terrasse en «œnosnack», ouvert tous les jours de l'année (oui, même l'hiver, grâce à la véranda). C'est avec une vue magistrale sur le Léman et Lavaux que l'on peut déguster une quinzaine de petits plats, fournis par des artisans locaux: les malakoffs du restaurant de la Gare à Cully, les tartares de saumon et poissons fumés de L'Armoire à Brume à Forel, ou encore un dessert personnalisé signé Moutarlier à Villeneuve. Pour accompagner tout cela, évidemment, place aux vins du domaine.
Dans la famille, on apprécie mettre de côté des vins qui ont un potentiel. Des rouges, mais aussi des blancs!
Le Bouquet, chasselas d'Epesses qui fait la fierté du domaine.
Traitement par drone. Si Clément a vendangé en Afrique du Sud durant l'hiver et à Bordeaux en début d'été, son esprit est bien à Epesses. À la cave comme à la vigne. «Je suis convaincu que 85% d'un vin se fait à la vigne, alors nous faisons tout pour nous adapter au mieux au relief du Lavaux, continue-t-il. Si le domaine se trouvait sur La Côte, nous serions déjà en bio, mais en Lavaux, où les coûts de production sont les plus élevés au monde…» L'homme ne baisse pas les bras et avec sa famille, fait des tests de traitements par drone afin de soulager le travail manuel. Les cépages résistants? «Nous avons une chance incroyable d'avoir l'Agroscope (qui a développé notamment le divico en 2013) en Suisse. Mais le divico, justement, est déjà moins résistant qu'à son lancement. Nous attendrons alors qu'il en sorte de nouveaux avec un avenir à long terme.»
Au printemps 2024, Clément Gaillard avait initié l'association des jeunes vignerons du Lavaux. Cette dernière avait sorti un vin commun, le Coup d'Blanc.
Charmant charmont. En attendant de potentiels futurs cépages résistants au mildiou et à l'oïdium, l'équipe d'Epesses continue de soigner ses grappes. Peu connu et pourtant croisement du chasselas et du chardonnay (créé à Pully en 1965), le charmont est par exemple mis en valeur dans la cave familiale, en trois versions. Celle en collaboration avec Timea Bacsinszky, celle douce et élevée 15 mois en barrique de chêne, et la «classique» d'Epesses, élevée douze mois de la même manière. «René fut l'un des premiers vignerons à en planter, et ce cépage nous plaît beaucoup, explique Clément Gaillard. Alors nous poursuivons cet héritage!» Si vous ne saviez pas quoi commander chez les Gaillard…
Le coup de cœur: le charmont d'Epesses, version doux
En cave:
Chasselas: Lavaux, Villette, Epesses Le Bouquet, St-Saphorin, Calamin, Dézaley, chasselas élevé sur lie
Autres blancs: savagnin d'Epesses, charmont d'Epesses barriqué
Rosés: Epesses rosé (gamay et garanoir), œil-de-perdrix (pinot noir)
Rouges: Epesses Cornaline (gamay et garanoir), pinot noir d'Epesses, pinot noir d'Epesses barriqué, gamaret d'Epesses, galotta d'Epesses, Lavaux Assemblage (merlot et syrah)
Spécialités: vin doux Charmont d'Epesses, eau-de-vie de raisin, eau-de-vie de lie, eau-de-vie de marc
Trois chefs GaultMillau qui servent des vins du Domaine Gaillard et Fils: Julien Ostertag au Là-Haut à Chardonne (14/20), Jean-Luc Vermorel au restaurant de La Gare à Cully (14/20) et Philippe Delessert au restaurant de la Gare à Grandvaux (13/20)
L'accord mets-vin: un rosé œil-de-perdrix avec une glace à la pêche de vigne (avec un peu d'œil-de-perdrix à l'intérieur)
Le Domaine Gaillard et Fils à Epesses
Photos: Raphaël Delessert, Blaise Kormann, Domaine Gaillard
