16 points discrets. Caché dans la ruelle fribourgeoise du Criblet, le restaurant La Cène (16/20) est un de ces établissements gastronomiques plantés dans le paysage culinaire romand depuis des années, mais finalement très discret. Et pourtant, les épicuriens gagneraient à s'y rendre. Sachant qu'ils y reviendront, assurément conquis par les assiettes sensibles et inspirées du chef Mohamed Azeroual (en grande image ci-dessus).
Très grand, le restaurant tenu par Mohamed Azeroual est rempli de tableaux et même, d'une verrière qui fait office de puits de lumière.
Savoie, Maroc, Fribourg. Arrivé à la Cène en 2014 comme sous-chef, Mohamed Azeroual grade deux ans plus tard, avant de faire monter la note GaultMillau à 16/20 en 2019. Depuis, il suit son bonhomme de chemin dans la tranquille Fribourg, entre dîners thématiques réguliers (le prochain tournera autour des Amériques) et menu unique déclinable de trois à sept plats. Et si l’on arrive difficilement à classer la cuisine de ce chef aux racines marocaines dans une case, c’est bien parce qu’elle est libre, volatile, influencée de toutes parts. Natif de Savoie, le chef a «grandi entre la fleur d'oranger, le sésame torréfié et l'huile d'olive», grâce à une maman très impliquée aux fourneaux. C'est ces émotions que l'homme souhaite transmettre. Et il réussit plutôt bien.
Tomate, fraise, basilic, harissa.
Fève, petit pois, burrata, verveine, abricot.
Thon, aubergine, miso.
Jeux de contrastes. Dégusté lors d'une chaude soirée estivale, le dernier menu de la Cène démarre par un frais croustillant de radis et un très parfumé cromesquis à la ricotta et au thym. Les fèves et petits pois croquants barbotent eux dans un jus de ces derniers et une huile de verveine. Cuillerée de burrata, segments d’abricots rôtis et sorbet du fruit subliment le tout. Même type de contrastes de températures et de textures dans la seconde entrée, une ode à la tomate: concassée, cuite, séchée, rôtie, accompagnée de rondelles de fraise et d’une glace poivron-harissa. On redécouvre un fruit à la formidable intensité. Ah, et cette sauce vierge herbacée aux oignons et léger balsamique!
Bœuf, béarnaise, pomme de terre, échalotes farcies.
Cerise, petit pois, menthe.
Audace et ingéniosité. Ce qui nous a véritablement plu durant les quelques heures passées à la rue du Criblet, c'est l'aptitude du chef à cuisiner, transformer et sublimer les matières premières. Pas de poudre aux yeux, mais de l'audace et de la subtilité. Ainsi de la suite: roulé dans un mélange d’épices, le thon façon tataki révèle une chair délicieuse, et se marie allégrement avec un jus aux câpres, tandis qu’un caviar d’aubergine se cache dans un rouleau croustillant de pâte filo. Chaque plat a ses saveurs propres, et tous se répondent avec délicatesse.
Un point faible? Cela vaut aussi pour le bœuf, que l’on déguste avec une exceptionnelle béarnaise à l’estragon, un jus légèrement vinaigré ainsi qu’une échalote farcie à… l’échalote, et couronnée de deux misos, à la cacahuète et à la noisette. Ne reste plus qu’à se délecter de la fraîche union de la cerise, du petit pois et de la menthe. Outre remercier un service d’une rare gentillesse mené par le très professionnel Paul Sabadello, relevons une chose: en lieu et place de ces tranches de pain écrasées à la croûte prédominante, on aimerait un pain avec une mie épaisse, grasse, afin de saucer correctement ces jus et sauces… tellement bons.
Le restaurant La Cène à Fribourg
Photos: La Cène, Siméon Calame