Hôtel Lausanne Palace

L’excellent Edgard Bovier étant parti à la retraite et superviser les cuisines de l’Hôtel de Rougemont, le Lausanne Palace aurait pu tomber dans les oubliettes de la gastronomie. Mais il n’en est rien. Désormais, l’ancienne Table d’Edgard s’appelle la Table du Lausanne Palace, avec aux commandes un duo plein d’énergie positive. Sarah Benahmed virevolte en salle comme une fée bienveillante qui a l’œil à tout. Franck Pelux, finaliste de Top Chef en 2017, a repris les fourneaux avec un talent évident, doublé d’expériences glanées un peu partout sur la planète.
Son premier menu lausannois débute avec cet œuf meurette au pinot noir d’ici et à la viande séchée. Un amuse-bouche léger, voluptueux et gourmand. Puis arrivent d’aériennes gougères au L’Etivaz. Et, plus exotique, un bonbon salé à l’anguille fumée, couvert d’une gelée de betterave.
Puis, les Dampfnudeln (spécialité alsacienne) arrivent farcies de poireaux (clin d’œil local) et accompagnées d’un divin bouillon (là, c’est l’Asie). Délicieusement régressif. La pastèque rôtie souligne ensuite un thon en lamelles idéalement saisies. C’est original et délectable, comme un vitello tonnato magnifié, servi chaud: on chavire. Le dormeur, lui, arrive décliné en trio. En ravioles belles et fines comme du papier florentin d’abord, dont la transparence laisse apparaître de délicates feuilles de coriandre. En gyozas parfumés à la citronnelle ensuite, théâtralement dressés sur la carapace du crabe, qui elle-même couvre une émulsion de bisque d’une intense profondeur où des perles du Japon barbotent avec bonheur. Puis on savoure la tartelette fine de légumes, un petit chef-d’œuvre tiède et gourmand, assortie d’une vinaigrette de miel et d’estragon. Une merveille.
Mais le meilleur reste encore à venir avec ce rouget sublimé, hérissé de ses écailles soufflées et escorté d’une tranchette juste croquante que des gouttelettes de mayonnaise enchantent en une sorte de pissaladière de conte de fées. Côté terre, le foie gras anoblit les lentilles beluga en espuma. Cette dernière cache un flan de soja soyeux à tomber par terre. Puis le ris de veau arrive à la fois croustillant et moelleux, en bien nommé «velours d’herbes» où se complaisent de jolies girolles clou. Et la volaille pattes noires de la Belle Luce, en Gruyère, est rôtie «comme un dimanche en famille»… mais pas n’importe quelle famille! La chair est fine, les apprêts délicats et la sauce irrésistible, digne d’une table de roi.
Pour annoncer le fromage, un croûton au gruyère caramel est flambé au kirsch à la table, et développe les arômes d’une fondue, mais en version dégustation. Le gruyère revient ensuite en espuma sur de la glace à la poire et sa compotée. Le jeu de textures est subtil, la douceur et le froid du fruit dominent cependant l’aérienne composition. En dessert, on craque pour le soufflé chocolat-tonka ou pour la pomme verte en nuage à la vanille de Tahiti.
La cuisine voyageuse de Franck Pelux dénote une maîtrise remarquable des cuissons et des associations, elle fourmille d’idées, au point qu’il ne manque peut-être à l’ensemble qu’un fil rouge plus évident. Mais quand même, les 16 points s’imposent pour ces menus délectables que Sarah Pages, la sommelière, accompagne d’excellents vins parfois rares, toujours choisis avec un infini doigté. Et ce n’est pas tout: Franck Pelux est notre «Découverte de l’année» 2021.