Leur talent fait taire les clichés

Charline Pichon incarne une autorité tranquille fondée sur un savoir immense. Sommelière à l’Hôtel de Ville de Crissier, elle connaît les 40'000 bouteilles de la cave sur le bout des doigts et possède un sens olfactif exceptionnel. Même les habitués les plus aguerris, qui fréquentaient déjà le restaurant avant sa naissance, se fient à son jugement les yeux fermés. Sa passion va loin: lors d’une visite dans un vignoble, elle a goûté la terre elle-même. «C’était un peu fou, mais la terre, c’est l’origine de tout vin», confie-t-elle. Originaire de Bordeaux, Charline a grandi entre les vendanges et les pressoirs. Aujourd’hui, elle défend les crus suisses, surtout les pinots noirs du nord du pays, qu’elle décrit comme «précis et frais».

En Suisse alémanique, la cheffe Moni Huber règne sur les cuisines du restaurant Le Schlössli, à Bottighofen. Perfectionniste assumée, elle ne laisse rien au hasard: lorsqu’un commis pliait mal ses tortellinis, elle a tout refait, refusant de servir un plat qui ne reflétait pas son exigence.
Ses débuts au Schäfli à Wigoltingen, auprès du chef Christian Kuchler, ont forgé son caractère. «Trois ans et demi là-bas, c’était comme dix ans d’apprentissage», plaisante-t-elle. Mais elle en garde une reconnaissance profonde: «Cette équipe est devenue ma seconde famille.»
Aujourd’hui cheffe accomplie, Moni reste fidèle à ses valeurs: rigueur, transmission et solidarité en cuisine.

Énergie solaire du Dolder Grand à Zurich, Evelyn Igl dirige quatre établissements au sein du palace et forme un tandem redoutablement efficace avec la sommelière Katharina Sarrot, sa meilleure amie. «Quand les femmes travaillent main dans la main, tout devient possible», dit-elle.
Depuis huit ans, elle insuffle sa bonne humeur à un univers hôtelier souvent jugé froid. Originaire de Bavière, elle préfère aujourd’hui le confort de Zurich à l’agitation de Munich.

Au Mammertsberg de Freidorf, Steffi Mittler ne se limite pas aux desserts: bras droit du chef Silvio Germann, elle orchestre la brigade avec un sens rare du collectif. Ancienne élève de la Fundaziun Uccelin d’Andreas Caminada, Steffi commence ses journées par une séance de CrossFit à 5 h 30 du matin. Discipline, endurance, constance: un état d’esprit qui résume bien son approche de la haute gastronomie.

Cheffe de l’Osteria Bisnona à Contone, Kira Ghidoni a voyagé du Tessin à la Nouvelle-Zélande en quête d’une cuisine sincère et connectée à la nature. Elle s’inspire des saisons et des paysages qu’elle explore chaque jour. «Je veux que l’assiette raconte le territoire», dit-elle, citant comme mentore la spécialiste tessinoise des plantes sauvages Meret Bissegger. Son idole? Le maître Frédy Girardet. «Je dévorais ses livres, littéralement.» Quand elle a eu la chance de cuisiner pour lui à Yverdon, elle n’a pas osé lui parler longtemps: «J’étais trop impressionnée.» Aujourd’hui, Kira inspire à son tour une génération de jeunes femmes qui veulent prouver que la cuisine, dans toute sa force et sa créativité, n’est pas une affaire d’hommes.

Photos: Thomas Buchwalder, Adrian Bretscher