Planète Marseille. Il évoque le soleil, le chant des cigales et les parties de pétanque jusqu’à plus soif. Apéritif emblématique de la ville de Marseille, le pastis ne se contente plus de désaltérer les amateurs de saveurs anisées qui tapent le carton autour de la Canebière. Inventé entre Suisse et France par la famille Pernod pour proposer une alternative légale à l’absinthe, interdite au début du XXe siècle pour ses prétendues effets hallucinogènes, l’elixir d’anis a été popularisé à Marseille par Paul Ricard. En 1932, il lui adjoint de la réglisse et le nomme pastis, qui signifie mélange en patois marseillais. Son slogan «Ricard, le vrai pastis de Marseille» va faire le tour du monde.
Petit jaune, fée verte. Depuis quelques années, sous l’impulsion de quelques distilleries exigeantes et d’artisans en quête de saveurs plus complexes, le célèbre spiritueux anisé franchit les frontières régionales, voire nationales. En Suisse, loin des embruns de la Méditerranée et du chant des cigales, l'apéritif gagne ses lettres de noblesse en même temps qu’il rafle les médailles. Élaboré dans le canton de Neuchâtel, sur les terres de l’absinthe dont il est le «fils spiritueux», le pastis à la Suisse concurrence même ses cousins français.
Produit dans le canton de Neuchâtel, le pastis Ladurée rafle les médailles de nombre de salons internationaux.
Guère plus de 4000 bouteilles de pastis sortent annuellement des alambics de Larusée.
Boisson de connaisseurs. Distillé et macéré de manière totalement artisanale, et selon une recette familiale jalousement conservée, le petit jaune Larusée dévoile de strésors de subtilité, de saveurs fines savamment dosées, avec des notes de plantes que l’on peut presque distinguer les unes des autres. Et vise un autre public que celui pour qui pastis rime avec Ricard: «Nous ne sommes distribués que chez les cavistes et les restaurateurs, sélectionnés par des gens qui aiment les bonnes choses et qui aiment les partager», explique Nicolas Nyfeler.
Anis, réglisse. Fruit d’une macération de diverses plantes dans un alcool neutre, le pastis version Larusée, qui produit aussi une absinthe de haut vol, en respecte toute de même les codes: «On va retrouver des traceurs qui font d'un anisé, c'est-à-dire un anis vert, un anise étoilé, le fenouil. Le pastis c'est aussi obligatoirement la réglisse». A la clé, un apéritif qui cultive le genre tout en surprenant: «C’est un pastis extrêmement floral, légèrement porté sur les agrumes en fin de bouche et qui est relativement pauvre en sucre. L'idée était d'avoir un pastis de gastronomie, c'est-à-dire un pastis qui puisse se boire avant un bon repas. Loin des apéros assez monoblocs qui ont un peu tendance à coller au palais, ce qui a donné une mauvaise réputation au pastis dans la gastronomie.»
Plus de 65 ingrédients entrent dans la composition du pastis Grand Cru Henri Bardouin.
A Forcalquier, Henri Bardouin réinvente le pastis à la provençale.
Apéro branché. Au restaurant Anne-Sophie Pic (18/20) du Beau-Rivage Palace de Lausanne, comme dans nombre de grandes tables romandes, l’élixir Larusée est à la carte. Pour Dominique Peretti, sommelier du restaurant, Corse d’origine et à ses heures amateur de Mauresque, mélange de pastis et d’orgeat, la présence du pastis coule de source: «Nous avons deux pastis, un local, celui de Larusée, et un Français, le Grand Cru Henri Bardouin. Un peu comme le gin il y a quelques années, le pastis s’est dé-ringardisé grâce à des versions artisanales de qualité qui prouvent que ces alcools à base d'infusions de badiane ou de graines de fenouil peuvent être légers, floraux et gourmands.»
Inventaire à la Pagnol. Produit par les Distilleries et Domaines de Provence, situés à Forcalquier dans le sud de la France, le pastis Henri Bardouin séduit aussi par sa complexité. A la dégustation, les 65 plantes et épices qui le composent semblent là aussi tour à tour identifiables: anis étoilé, réglisse, des grains de paradis, des fèves tonka et de la cardamome. Sans oublier l’inventaire à la Pagnol des herbes des collines locales comme le thym, le romarin, la sauge et l'armoise ou la sarriette.
Au Petit Nice (18,5/20 et quatre toques au Gault&Millau français), situé sur la Corniche Kennedy à Marseille et auréolé de 3 macarons Michelin depuis 2008, Gérald Passédat célèbre cette année ses 40 ans de cuisine.
L'incontournable Bouille Abaisse, en deux mots, de Gérald Passédat dans laquelle chaque poisson est préalablement flambé au pastis.
Pastis et poissons. Le pastis gastronomique et sa puissance aromatique s’invitent aussi en ingrédients de choix. Chez Anne-Sophie Pic, amoureuse des plantes, il entrait encore récemment dans la composition d’un dessert, en résonance avec l’agastache. Plus au sud, le chef marseillais Gérald Passédat, qui fête cette année ses quarante ans de cuisine dans son restaurant triplement étoilé Le Petit Nice, fait lui aussi honneur à l’apéritif local. «Le pastis chez moi est synonyme de réunions familiales. Mon oncle pêcheur distillait le sien lui-même. C’est un apéritif digeste, vif, qui met en appétit et que j’apprécie. Personnellement, je l’aime bien dilué. Aucun apéritif ne s’accorde mieux avec nos olives cassées de la Vallée des Baux».
Flamboyant alcool. Côté cuisine, le chef, qui sublime mieux que personne les poissons de la Méditerranée, transforme le pastis en ingrédient qui fait toute la différence dans sa célèbre «bouille abaisse»: «C’est avec le pastis que je flambe tous les poissons qui entrent dans sa composition. Et dernièrement, j'ai redécouvert la saveur d'un loup entier grillé simplement flambé au pastis. C'est magnifique.»
Photos: Henri Bardouin, Larusée, Richard Haughton.