Texte: Knut Schwander Photos: Sedrik Nemeth, Pascal Gros, Julie de Tribolet, Thomas Buchwalder

En 2000, à 32 ans, il obtient 18 points. Cinq ans plus tard, il reçoit le 19ème point assorti du titre de «Cuisinier de l’année». En 2017, la Liste intègre le Terminus dans les 1000 meilleurs restaurants du monde. Et aujourd’hui Didier de Courten, l’intrépide coureur et chef passionné l’annonce en primeur sur le GaultMillau Channel: il va réorienter sa carrière. Interview.

Comment un chef aussi passionné que vous envisage-t-il de quitter la maison qu'il a menée au sommet de la grande gastronomie?

Toutes les planètes s’alignent depuis 2019, lorsque j’ai créé ma société de consulting. Cela m’a permis de reconsidérer les choses, de modifier l’offre du restaurant et d’entreprendre d’autres activités. Mes mandats se sont développés et sont devenus de plus en plus importants. J’ai donc réalisé qu’on ne peut pas courir trois lièvres à la fois! Il fallait faire un choix. J’ai opté pour celui de la transmission du savoir à de jeunes cuisiniers.

Didier de Courten

Didier avec ses enfants, Philippe et Elodie, et sa femme Camélia.

Didier de Courten

Didier à l’alpage de Moiry avec sa Vache FIFI.

Didier de Courten

Didier et Philippe.

En fait, vous allez donc cesser votre activité au Terminus, mais pour faire quoi, exactement?

En avril prochain, je quitterai le Terminus. Ce n’est pas facile. Cependant, l’offre que les Remontées Mécaniques de Grimentz Zinal (RMGZ) m’ont faite ne se refuse pas. Je serais employé de cette société hyper dynamique qui gère actuellement cinq hôtels de montagne, 11 points de restauration et qui compte encore se développer dans ces domaines. Notamment avec l’Espace Weisshorn, un restaurant haut de gamme actuellement en construction à 2700 mètres d’altitude. Dès octobre 2023, 155 convives y bénéficieront d’une vue incroyable sur les sommets à 4000 mètres dans un lieu éco responsable, une destination en soi. J’ai été à la base du concept de ce restaurant. Or, il faut à présent assurer le suivi. Mon rôle sera de coacher et de former les gérants des divers établissements.

Est-ce la nouvelle formule mise en place au Terminus qui ne fonctionne pas et qui vous incite à changer de cap ?

Absolument pas. J’adore ce que je fais et tout se passe bien. Nous avons très bien travaillé ces deux dernières années. C’est d’ailleurs pour ça que la société RMGZ est venue me chercher! Pour trouver les bonnes solutions à un pan de ses activités en plein développement, qui nécessite des connaissances professionnelles ciblées que les membres du conseil d’administration n’ont pas. C’est moi qui leur ai conseillé d’engager quelqu’un… sans penser à moi!

Didier de Courten

En 2005 Didier reçoit son 19ème point assorti du titre de «Cuisinier de l’année».

"Appel au droit à bien manger", des chefs romands. de gàd Pierrot Ayer,Claude Frôté,le Bocca Neuchâtel,Charles-Henri Zuchuat,L'Escale Le Chable,Marie Robert restaurant le Café -Suisse Bex,Philippe Chevrier,Château vieux,Franck Giovannini( assi devant),l'Hôtel de ville Crissier,Bernard et Guy Ravet,l'Ermitage des Ravet Vufflens-le-Château et Didier de Courten hôtel restaurant Didier de Courten

2018: Quelques-uns des plus grands chefs cuisiniers de ce pays, dont Didier de Courten, plaident pour que le droit au bien-manger soit inscrit dans la Constitution fédérale.

Vu les problèmes actuels de personnel dans l'hôtellerie-restauration, ne craignez-vous pas d'y être confronté de manière exponentielle avec autant de restaurants?

Au Terminus, je ne peux pas dire que nous souffrons de problèmes de personnel. Mais il est clair que les questions de logement et d’engagements sont tendus dans notre secteur. L’ensemble de la branche de l’hôtellerie-restauration va devoir se remettre en question. Cela dit, l’avantage de RMGZ, c’est d’offrir aux gérants de chaque établissement une grande liberté d’action tout en les soulageant de tous les soucis administratifs. Et même pour les autres collaborateurs, il y a des possibilités de formation et d’évolution que peu de groupes sont en mesure d’offrir.

Votre changement d'orientation s’inscrit dans une tendance. On vient d’assister au dernier service à L’Ermitage des Ravet, notamment: y a-t-il trop de restaurants de grande gastronomie pour un public en mutation?

Il reste de la place pour de grandes tables. J’ai d’ailleurs beaucoup réfléchi, puisque mon fils est avec moi en cuisine. Mais pour lui, c’est trop tôt pour se lancer. Et de manière générale, reprendre un gros bateau comme le Terminus, ce n’est pas évident. Les jeunes n’ont pas les moyens financiers et le modèle des maisons familiales paraît de plus en plus impensable. En effet, la cuisine seule ne suffit plus pour réussir. L’administration devient trop importante. L’avenir de la grande gastronomie va donc de pair avec des sponsors ou le soutien de structures solides.

 

Votre nouvelle vie professionnelle sera-t-elle totalement hors cuisine?

Je ferai des sauts en cuisine, mais ce qui me tente surtout, c’est de m'occuper de la formation. Je serai un soutien et un conseiller des gérants et de leurs équipes. D’ailleurs je le suis déjà. Et quand je vois le succès remporté dans les restaurants d’alpage par plats signature portant le nom «Didier de Courten», je pense qu’il y a de belles choses à faire.

Comment les propriétaires du Terminus ont-ils réagi?

Notre contrat s'arrête en 2025. Bernard Rouvinez m’a toujours dit: si tu veux partir, dis-le nous un an à l’avance. J’aime cette maison où j’ai fait mon apprentissage en 1984. Je ne pars donc pas la fleur au fusil! Mais je ne veux pas coacher à distance mon propre restaurant: je ne me vois pas ne pas être là! En revanche, en cas d’intérêt, je suivrai avec plaisir le futur gérant pour contribuer à assurer l'avenir du Terminus.

Didier de Courten

La salle du restaurant Le Terminus.

Didier de Courten

Mai 2021: L'Atelier Gourmand de Didier de Courten.

Dans l'actuel contexte de pénurie, ne risquez-vous pas une hémorragie de personnel avant la fermeture?

Oui, bien entendu, ce risque existe. J'ai notamment deux apprentis que je vais replacer ailleurs. C’est ma responsabilité. Mais je ne pourrai plus retenir les gens. J’espère que les fidèles - beaucoup sont avec moi depuis 12, 15, 16 ans! - nous accompagneront jusqu’à la fin. Autrement, si il faut réduire l’offre ou le nombre de convives pour continuer à bien faire les choses, on avisera.