«Pas de gastronomie ici!» Rien ne destinait le Royal Manotel, à Genève, à abriter l’une des meilleures tables de Suisse. Du moins, pas jusqu’à l’arrivée d’Armel Bedouet (grande photo ci-dessus). Ce chef discret, mais aussi talentueux que tenace, originaire de Bretagne et fils d’hôteliers, qui, en sportif de haut niveau, a toujours visé les sommets. Quand il a repris les fourneaux du Duo, l’ancien nom du double restaurant de la rue de Lausanne, on le lui avait bien dit: «Il n’y aura jamais de gastronomie ici». Il lui fallait rester raisonnable. Alors, il l’est resté. Mais à sa manière. En faisant son travail au mieux et en enthousiasmant ses brigades, ses clients et bientôt les guides.

Multicol Dessert Veggie Week L'Aparté Armel Bedouet

Fraises mara des bois genevoises entières et en sorbet, crémeux au chocolat dulcey sakura: un dessert mémorable d'Armel Bedouet.

Armel Bedouet L'Aparté

S'il excelle sur les viandes et poissons, Armel Bedouet ne dénigre jamais le végétal. Ici, une sucrine grillée.

Deux fois «Promu de l’année». En 2013, il entre donc au GaultMillau avec 14 points: «Commandez sa courgette jaune aux légumes estivaux, et on vous apportera un jardin charmeur et fleuri» rapportait le guide. Deux ans plus tard, la direction de l’hôtel offre à son chef un nouvel écrin: L’Aparté. Un élégant restaurant de poche à l’allure scandinave. Le chef Bedouet s’y épanouit et gravit les échelons. En 2018, il est «Promu de l’année» avec 17 points. Et aujourd’hui, à 55 ans, il en obtient un de plus, le 18ème, dans son nouveau restaurant intimiste et raffiné de seulement 28 couverts. Un espace entièrement repensé et réaménagé l’an passé. Pour la deuxième fois, le voici «Promu de l’année». Une consécration.

 

L’arrivée en Suisse. À Genève, tout a commencé dans les cuisines du Mandarin Oriental où Armel Bedouet s’ennuyait. «Plutôt qu’au Neptune, la table étoilée de la maison, je m’étais retrouvé aux banquets» se souvient le chef. Alors, quand l'un de ses fournisseurs lui glisse que Dominique Gauthier, au Chat Botté du Beau-Rivage, cherchait un sous-chef, il n’hésite pas. Il envoie son CV: «J’ai reçu une réponse dans la semaine et on s’est tout de suite entendus». D’ailleurs, aujourd’hui encore, les deux hommes continuent à s’appeler régulièrement. Car ils ont en commun une véritable passion pour leur métier, une rigueur absolue et un vrai talent.

Royal manotel L'aparté Armel Bedouet

La salle du restaurant a été rénovée en 2024.

En cuisine à 9 ans. Il faut dire que la carrière d’Armel Bedouet a commencé tôt. Quand il avait neuf ans. Ses parents reprennent alors un petit hôtel, en Bretagne: 17 chambres et un restaurant d’une trentaine de couverts. «C’est là que je suis tombé dans la marmite et que j’ai attaqué mes premières saisons aux côtés de mon papa. J’adorais ça!», se souvient Armel qui, déjà tout petit, «passait son temps dans les pattes de ma grand-mère». Or cette dernière était excellente cuisinière. Tout comme la maman d’Armel d’ailleurs: aujourd’hui encore, le chef parle des blanquettes et des ragouts de son enfance avec des étoiles dans les yeux.

Armel bedouet L'aparté

Ne loupez pas les tartelettes d'Armel Bedouet, qui figurent parmi ses signatures.

Labeur des étoiles. Tout naturellement, c’est donc un apprentissage de cuisinier qu’Armel entreprend. Puis, il gravit les échelons. En Bretagne d’abord au Domaine de Locguénolé, puis chez Guy Martin, au Château de Divonne. Enfin, à la Ferme Saint-Siméon en Normandie, ainsi qu’au Château de Coudrée, voisin de la Suisse. Quand on lui propose le poste de chef de Port Gitana, il saisit donc sa chance: «Mais je me suis retrouvé à ne faire que des filets de perches». Après 18 mois, c’est Guy Martin, consultant au Mandarin Oriental, qui le fait venir à Genève. Depuis, il y a fait son chemin, un chemin pavé d’étoiles, mais aussi de labeur acharné.

Le secret du succès. Au Royal Manotel, sa responsabilité ne se limite de loin pas aux 28 couverts de L’Aparté. Il y a aussi la brasserie, les banquets, les petits-déjeuners et le room service. Jusqu’à 180 clients par service: «Pour éviter les jalousies, avec les quinze membres de la brigade, on fait un tournus: chaque jour, on change, on intervertit les postes». De ce fait, la brigade reste stable et unie, même en ces temps complexes dans l’hôtellerie. Prenez Cédric Deconfin, en pâtisserie, il est aux côtés d’Armel depuis 17 ans. «Tous aiment leur métier et mettent leur passion au profit d’une cuisine qui ne va pas de soi ici, à la rue de Lausanne» se réjouit le chef.

Armel bedouet L'Aparté

Les menus de L’Aparté finissent toujours en beauté. Ainsi cette création signée Nathanael Guigui, le chef pâtissier.

Armel bedouet L'Aparté

Intimiste et feutré, le cadre de L'Aparté invite à la détente autour d'un somptueux repas.

Grande cuisine et excellent rapport qualité-prix. À deux pas de la gare et du quartier des Pâquis, ils élaborent une cuisine raffinée, lisible, sobre, légère et gourmande: «On a une règle: on ne dénature jamais le produit. Et puis, on met un point d’honneur à mettre en valeur le végétal. Car à mes yeux, c’est souvent le végétal qui fait la beauté du plat». Le tout à tarifs très compétitifs: huit services pour 164 francs. «On vise l’équilibre, précise Armel Bedouet, en sachant que notre situation dans un quartier populaire ne nous permet pas d’afficher des prix de restaurant de luxe. A perte, l’exercice pourrait s’arrêter rapidement».

 

Karaté et marathon. Rien n’est définitivement acquis, ça, Armel Bedouet le sait. Lui qui, lorsqu’il n’est en voiture (deux fois par jour, il passe une heure et quart sur la route) se consacre à sa famille, à son fils de 17 ans à son épouse avec laquelle il adore promener les chiens l’après-midi dans la nature. Lui, surtout, qui est un sportif, un marathonien doublé d’un amateur de sports de combats qui avait commencé le karaté et le judo tout jeune. Il est donc bien placé pour savoir qu’aucune victoire n’est jamais définitive. Que cela ne l’empêche pas de savourer son 18ème point et son titre fraîchement acquis!

 

L'Aparté à Genève

 

Photos: Royal Manotel, Guillaume Cottancin