Restaurant ou pas? Certes, l'Hôtellerie de Châtonneyre est un restaurant. On a vérifié: l'adresse à Corseaux (VD) est même notée 14/20 dans le guide GaultMillau. Mais a-t-on vraiment diné dans un restaurant, se demande-t-on tout de même en repartant du «repas immersif», expérience originale mêlant gastronomie et spectacle de sons et lumières. Non pas que l'on ait mal mangé. Au contraire, le chef Eugen Ligonnet a rappelé qu'il méritait amplement ses quatorze points. La performance s'éloigne cependant résolument de ce dont on a l'habitude en se rendant au restaurant. Ce qui n'est pas forcément un problème.

 

Dîner-spectacle. En quoi consiste cette «expérience»? Disponible depuis début octobre, à raison de trois soirs par semaine, il s'agit d'un menu en six plats (275 francs, vins inclus), agrémenté d'une expérience de mapping vidéo. Autrement dit, d'un dîner-spectacle qu'on racontera le plus succinctement possible, l'effet de surprise comptant pour beaucoup. Imaginez une salle sombre, aux murs noirs, avec une grande table pouvant accueillir jusqu'à 14 convives. A l'aide d'un projecteur laser sophistiqué situé au plafond, sont diffusées des animations vidéo et autres jeux de lumières sur la table et dans les assiettes, au rythme d'une bande sonore incluant musiques, bruitages, et discours. On pense forcément à des expériences antérieures telles qu'Ultraviolet, la table immersive trois-étoiles du chef français Paul Pairet à Shanghai. Ou au Petit Chef, concept décliné à travers le monde. La première joue sur les émotions en sollicitant tous les sens, dans une scénographie prenant place du sol au plafond. La seconde mise sur un petit cuisinier virtuel projeté en 3D qui s'amuse avec la nourriture et les convives. A Châtonneyre, c'est l'amour du patrimoine du vaudois qui est de mise.

repas immersif chatonneyre

Les projections sont individuellement animées dans les assiettes.

Hôtellerie de Châtonneyre

Tartelette à la feuille de vigne farcie au sérac, gelée de chasselas.

Hôtellerie de Châtonneyre

D'assez courte durée, les projections laissent amplement le temps de discuter autour de la table.

100% local. Découpé en six temps, le dîner est ponctué d'autant de petites séquences qui introduisent le plat qui vient, selon divers thèmes. On découvre ainsi une séquence animée portant sur le lac Léman, accompagnée de deux très belles quenelles de brochet et sauce aux écrevisses avec une touche de caviar suisse. Puis une autre à propos de la fête des vignerons, suivie de délicieux wontons farcis de saucisse au chou et truffe vaudoise rappelant le papet vaudois, et ainsi de suite jusqu'au fromage et au dessert, toujours avec de beaux accords mets et vins - locaux, forcément. Sans être d'une résolution particulièrement élevée, les images projetées jouissent d'un joli contraste, et sont placées avec une redoutable précision. Nuages, textes, engrenages, tableaux et autres éléments tournent, défilent, virevoltent dans les sous-assiettes (vides, les plats étant présentés sans projections) dans une chorégraphie bien ficelée, fruit du travail de Thematis et Lumen Créations, deux entreprises… vaudoises, évidemment. «Nous voulions aussi montrer que nous avions ces savoir-faire ici chez nous, sans aller chercher des entreprises à l'étranger», détaille Nicolas Ming, le propriétaire des lieux.

Hôtellerie de Châtonneyre

Quenelles de brochet et sauce écrevisses et yuzu

Wontons à la saucisse au chou et truffe vaudoise, poireaux, sauce au vin rouge: le papet vaudois revu par Eugen Ligonnet.

Avec Eugen Ligonnet, le papet est décliné autour de trois raviolis wonton.

Vers l'infini. Dans l'ensemble, le repas immersif de Châtonneyre a, de l'avis général de la tablée réunie ce soir-là, réussi son pari. Technique et réalisation sont maîtrisées, tout comme l'excellent menu d'Eugen Ligonnet. Si les assiettes de ce dernier parviennent à déclencher des émotions, c'est toutefois moins le cas du spectacle, qui demeure somme toute très muséographique, alors qu'il gagnerait à toucher, à bouleverser voire à choquer les convives. Bien sûr, le choix qui a été fait offre l'avantage de proposer du tangible, et de tenir un propos cohérent sans perdre quiconque en chemin. Le choix de la prudence, en somme, s'est imposé pour ce premier essai. En fin de repas, une magnifique séquence contemplative revient sur l'épopée de Claude Nicollier. En visant les étoiles, comme l'astronaute suisse l'a fait en son temps, et au vu du potentiel technologique déployé, ce repas immersif pourrait bien emmener les hôtes dans un voyage aussi fascinant que gourmand.

 

Hôtellerie de Châtonneyre

 

Photos: Hôtellerie de Châtonneyre, Fabien Goubet


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