Copain comme cochon. Moelleux, juteux, légèrement rosé et lardé d’une belle couche de gras… À peine sorti de la cocotte dans laquelle il a rôti agrémenté d’une poignée de foin, le carré de porc préparé par Romain Dercile, chef de la Fleur de Sel (Cossonay, 17/20), nous met l’eau à la bouche. Servie simplement, accompagnée d’un jus de viande réduit infusé au lierre terrestre et d’un mille-feuilles de légumes de saison, cette viande savoureuse se suffit presque à elle-même. Il faut dire que dans l’assiette, le porc fermier mis à l’honneur est un produit de choix.
Le carré de cochon de Valentin Chappuis façon Romain Dercile, un plat simple mais efficace qui sublime cette viande exceptionnelle.
Produit ultra local. Successeur de Carlo Crisci à Cossonay, le chef aveyronnais affectionne particulièrement ce cochon qui grandit à cinq minutes à peine de son restaurant. Seuls 3,2 km séparent en effet la ferme de Valentin Chappuis de l’assiette. Plus local, tu meurs! De Franck Giovannini à l’Hôtel de Ville de Crissier en passant par les trublions de Gueuleton à Carouge, et François Grognuz et sa cuisine généreuse à la Brasserie de Montbenon à Lausanne, nombreux sont les chefs qui ont choisi de mettre à la carte les cochonnailles de ce jeune éleveur de 36 ans. Un paysan de la sixième génération dont le nom est désormais presque toujours mentionné aux côtés de l’intitulé des recettes qui subliment son produit.
Romain Dercile poêle la viande pour que tout le jus revienne au centre du morceau. Primordial, surtout pour le cochon.
Après avoir confit au four à basse température, la double côte est poêlée puis fumée au foin à la minute avant d'être grillée une ultime fois avant le dressage.
Respect de l’animal. Pour Romain Dercile, dont les propres parents élevaient des porcs dans son Aveyron natal, les qualités de la viande de Lussery-Villars sont multiples: «D'abord, il y a la façon dont les porcs sont élevés qui est très respectueuse de l’animal. Si ça n’était pas le cas, je n'entrerais même pas en matière. Il y a quelques mois, nous sommes allés sur place. On voit qu’ils ont de la place, de bonnes conditions de vie pour grandir. Ensuite, il y le magnifique travail de découpe et d’affinage fait par la Boucherie du Palais. Les côtes sont bien épaisses, la noix juteuse.» Au niveau du goût, là aussi, le résultat est là: «Le cochon a eu le temps de grandir, de faire sa musculature correctement, il n’a pas été brusqué. Et le taux de gras est optimal, grâce à une bonne alimentation. Plus il y a de gras, plus la viande est tendre, et plus elle a de goût.»
Toujours curieux et joueurs, les cochons de Valentin Chappuis.
Chair sèche et persillée. Assis à nos côtés pour cette dégustation, Valentin Chappuis écoute attentivement Romain Dercile décrire par le menu les nombreuses propriétés organoleptiques de sa viande, une «viande avec un gras qui se tient, qui reste bien blanc, une chair bien sèche mais entremêlée, persillée», résume-t-il lui aussi. Plutôt du genre réservé, il sait tout le travail et le soin qui se cachent derrière ce produit qui redonne ses lettres de noblesse au cochon. Il sait aussi que cette différence est intimement liée à une autre manière de concevoir son métier.
À la Fleur de sel, la côte de porc est plutôt un plat d'hiver.
Bon vivant, Valentin Chappuis ne boude pas son plaisir lorsqu'il s'agit d'être au contact de ceux qui sublime son produit.
Alimentation de qualité. Située en bord de route à quelques minutes de Cossonay, la ferme de la famille Chappuis ne diffère à première vue que peu des autres bâtisses rurales qui peuplent la campagne vaudoise. Cour pavée, tuiles brique et volets verts sont la parfaite image d’Epinal de ces bâtiments séculaires où cohabitent humains et animaux. Pour rendre visite aux cochons de Valentin, il faut se parquer là et grimper encore un peu à pied à travers champs. L’occasion, pour le paysan, de nous détailler, à droite et à gauche, ce qui est en fait le garde-manger de ses porcs: «Nos cochons ne sont nourris qu’avec du fourrage suisse cultivé ici même. Nous leur donnons uniquement des produits nobles.»
Agriculture raisonnée. Blé barbu et non barbu, orge et pois protéagineux… tout ici pousse en parfaite symbiose: «On n'est pas bio, mais on travaille en système de techniques culturales simplifiées. On ne laboure pas, on traite le moins possible en utilisant des leviers agronomiques qui ont du sens.» Blé, orge, pois, mais aussi colza et mélasse de betterave, cette alimentation de qualité est toujours à disposition des cochons qui peuvent y goûter quand bon leur semble: «Une fois la hiérarchie trouvée dans le groupe, les choses se font naturellement et dans le calme, sans stress.»
Blé, orge, colza, mélasse de betterave, pois et minéraux font partie de l'alimentation soigneusement sélectionnée.
Contrairement aux élevages plus intensifs, la nourriture est ici toujours à disposition. Résultat: beaucoup moins de stress pour les animaux.
Espace suffisant. Le silence étonne lorsqu'on approche de la petite porcherie, pourtant ouverte aux quatre vents. Une fois la surprise de nous voir débouler là, les cochons vaquent à leurs occupations, fouissant dans la litière de paille, se régalant de leur mélange trois étoiles ou s’étalant de tous leur long au soleil, sous les brumisateurs qui s’activent automatiquement en ces jours de grosses chaleurs. Nous gratifiant parfois d’un petit coup de leur gros yeux bleus: «Ici, les animaux disposent de trois espaces distincts, explique Valentin Chappuis. Un espace de paille profonde où ils peuvent se coucher ou fouir comme ils aiment le faire, un espace pour l’affouragement et un espace extérieur sur caillebotis où leurs déjections s’évacuent facilement. Ils vont et viennent comme ils veulent.»
L'été, les porcs passent le plus clair de leur temps à l'extérieur.
Paille et bois: une attention a été portée aux matériaux choisis pour la porcherie.
Bois et béton. Largement aérée, la porcherie de Valentin Chappuis a été construite en 2007 par son papa, déjà précurseur dans la volonté de respecter la vie des animaux de rente. Elle abrite quelque 630 cochons, qui arrivent ici à l’âge de 2 mois et demi à 25 kilos, et y repartent pour être abattus 120 jours plus tard, alors que leur poids dépassera les 100 kilos. «On a choisi de ne pas faire les naissances, ce qui demande un très gros travail car nous sommes aussi producteurs de grandes cultures, continue l'homme. Les porcelets viennent de Mathias Mauroux, qui est naisseur à Autigny, dans le canton de Fribourg.»
Au fur et à mesure de leur croissance, les cochons sont transférés dans des enclos de plus en plus grands pour qu'ils profitent du même espace.
Ferme ouverte. Totalement transparent sur la manière dont il élève ses porcs, Valentin Chappuis organise fréquemment des visites de sa ferme. Une preuve supplémentaire que ce jeune agriculteur à l’esprit entrepreneur, qui a su faire de son nom un gage de qualité, peut être fier de son produit.
Le domaine agricole de Valentin Chappuis
Photos: Julie de Tribolet