Une simple complexité. En cuisine, faire simple, c'est souvent ce qu'il y a de plus compliqué, dit-on. Alors, lorsque Damien Germanier a annoncé en novembre quitter la haute gastronomie pour se recentrer sur une cuisine plus modeste et plus abordable, on s'est posé quelques questions. Les clients ne sont-ils pas encore plus exigeants lorsqu'il s'agit de s'attabler devant des plats classiques? Le Valaisan ne se lance-t-il pas, au contraire, dans un périple d'une effroyable complexité? Surtout, sera-t-il capable de se débarrasser de ses oripeaux gastronomiques pour être authentique? Après avoir mangé à l'Auberge de Rivaz (14/20), où il cuisinera au moins jusqu'à cet été, et en attendant l'ouverture en mars de Basique (son restaurant gastronomique rebaptisé), on a de quoi être rassuré.
Les endives au jambon de la Borne «2.0», le chef détestant dire «revisités». Pas exactement ce à quoi l'on peut s'attendre, mais tous les marqueurs sont là - exception du fromage.
Le Germanier nouveau. Ciel et visages étaient radieux le 23 janvier à l'heure du midi à l'Auberge de Rivaz, pour le deuxième jour et le troisième service du chef. «Hier, c'était le brouillon, aujourd'hui c'est beaucoup mieux, plaisante au passe le Sédunois. On l'a connu en gentil ours grognon, on le sent ici détendu, apaisé. Presque libéré. «Je suis content d'être ici, assure-t-il. «La cuisine de brasserie classique est rassembleuse, elle touche tout le monde, que l'on ait 14 ou 80 ans».
Les poireaux vinaigrette et sabayon acidulé ne peuvent s'empêcher d'être élégants.
La délicieuse blanquette de veau, vectrice d'émotions.
Sans chichi… A la carte, cinq entrées, le double de plats. Damien Germanier avait assuré faire du classique, du simple, du sans chichi, tout en mettant à l'honneur des produits du terroir: il n'a pas menti. Terrine de porc, cuchaule et moutarde de bénichon, endives au jambon de la Borne, volaille du Seeland aux morilles, langue de veau à la crème double… Avec des produits en provenance, en majorité, de fournisseurs relativement proches, le menu est cohérent.
…Ou presque. Sur les poireaux vinaigrette, un incontournable des bistrots français, le chef pose sa griffe avec un joli dressage en rondelles, du blanc d'œuf émietté et surtout un sabayon acidulé. Derechef sur les endives au jambon, présentés de manière totalement déstructurée: jambon d'un côté, endive de l'autre, un partout, béchamel au centre. Sans fromage, et avec un tel dressage, le parti-pris est certain. «C'est un plat assez clivant, dont j'ai voulu changer la présentation», défend le chef.
L'île flottante du chef et noisettes torréfiées: une madeleine de Proust.
Gastro ou bistrot? Ces plats ne friment pas, ils sont bons et sonnent juste, mais se pose alors la question: de tels classiques ont-ils vraiment besoin d'un dressage revisité? Et si finalement, la cuisine «sans chichi» en faisait un peu, des chichis? Le chef cherche encore certainement la meilleure formule, tâtonnant entre tradition et créativité. Un moindre mal, qu'on peut aisément lui pardonner.
Émotions. De toute manière, sa blanquette de veau met fin aux débats. Présentée dans son plus simple appareil, sans artifice, elle correspond à l'image mentale que chacun se fait de ce plat. Là, la magie opère, cerveau et papilles activent les bons engrenages qui renvoient en enfance. On est ému, on se sent bien, on est cajolé, le ventre plein. Peut-être pas encore tout à fait à l'aise dans son tablier de bistrotier, Damien Germanier montre ici qu'il sait viser juste, qu'il parvient à toucher les sens et déclencher des émotions. Lorsqu'on cuisine, ce n'est pas facile. C'est même ce qu'il y a de plus compliqué.
Photos: Sedrik Nemeth