Histoire de famille. «Je lui ai toujours dit que si un jour il cherchait un lieu pour mettre en place ses idées et créer sa propre cuisine, les portes de l’Auberge du Prévoux lui étaient ouvertes.» «Je», c’est Frédéric Marchand, 58 ans, le chef de la table sise au Locle (NE) et notée 15/20 (photo ci-dessus, à gauche). «Lui», c’est son neveu Cyril, cuisinier de trente ans son cadet. Ce printemps, Cyril a demandé à son oncle si sa proposition tenait toujours… De là s’est déclenché le nouveau cycle de l’Auberge, qui vit depuis 1904 et que Claire et Frédéric Marchand mènent avec succès depuis 2008. Alors, que se passe-t-il à l'auberge?

 

CV brillant. «À mon âge, je réfléchis bien sûr à ma fin de carrière et à l’avenir de notre belle auberge, assume Frédéric Marchand. Alors lorsque Cyril est revenu vers moi, cela a instantanément résonné en moi. Quelle plus belle manière de faire vivre le Prévoux que de transmettre cet établissement à la génération d’après?». Patience, toutefois. Le neveu a beau afficher un joli CV, avec quatre ans à l’Hôtel de Ville de Crissier (19/20) et des passages chez les chefs français Christopher Coutanceau (17/20), Olivier Nasti (19/20) et Christophe Hay (18,5/20), arriver dans une région comme les montagnes neuchâteloises est une toute autre affaire, si bien que la passation ne se fera que d'ici trois à quatre ans.

Prevoux

L'Auberge du Prévoux, à un jet de pierre de la frontière franco-suisse, a été fondée en 1904.

Comprendre la région et les convives. «Être un bon restaurateur, c’est de la rigueur et de la persévérance, mais aussi et surtout le respect du client et de la région dans laquelle on œuvre», théorise Frédéric Marchand. Au Locle, son neveu devra s’appuyer sur ce qui a été accompli, puis avancer petit à petit. Un changement de chef n’a évidemment pas les mêmes implications dans les montagnes neuchâteloises qu’au cœur d’une grande ville. Dans la région, le Prévoux est connu de tous, et les clients attendent le nouveau chef au tournant. Se faire sa place tout en respectant l’histoire du lieu: le défi est grand. «J’ai besoin d’apprendre de mon oncle et d’être épaulé, continue Cyril Marchand. Nous avons la même vision de la cuisine et sommes complémentaires, ce qui nous permet d’avancer main dans la main.»

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Oncle et neveu font le pari de mener une transition en douceur, qui doit moderniser la carte sans brusquer la clientèle.

Apporter des contrastes. Conscient d’être «de la vieille école» dans le bon sens du terme, l’oncle se réjouit de voir le neveu apporter des contrastes dans sa «cuisine classique, réalisée avec une technique exemplaire en respectant le rythme des saisons», comme la décrit le guide GaultMillau. «J’ai appris les bonnes cuissons et les bons assaisonnements, explique Frédéric Marchand. À l’instar des chefs de sa génération, Cyril réfléchit de manière plus large, en apportant des lactofermentations ou en réveillant d’autres sens avec des saveurs nouvelles.» Le chef actuel explique avoir fait un grand chemin de remise en question, afin de se mettre en retrait et d’ouvrir ses fourneaux à quelqu’un d’autre. Cette transition s’annonce donc discrète, mais fluide.

 

Retour aux sources. Dès le premier service, «chef Frédéric» (comme l’appelle son neveu) lui a donné la responsabilité de la cuisine. Et certains clients se sont déjà fait duper, croyant qu’il s’agissait de l’œuvre du patron. Une transition invisible, en quelque sorte, pour ce duo qui passe du temps en cuisine depuis bientôt vingt ans. «Lorsque Cyril avait onze ans, ses parents le mettaient dans le train à Paris et je le récupérais à Frasne pour qu’il vienne cuisiner avec moi. C’est une sorte de retour aux sources, assez émouvant d’ailleurs», conclut Frédéric Marchand.

 

L'Auberge du Prévoux au Locle

 

Photos: DR