13 points! Voilà un restaurant qui porte bien mal son nom. Mi Food Mi Raisin laisse une impression aux antipodes du mi-figue mi-raisin. Cette adresse du quartier des Eaux-Vives à Genève fait l'unanimité. En bien. A tel point que GaultMillau annonce d'ores et déjà son entrée dans l'édition 2026 du guide, avec 13 points. Bravo!
Maturation depuis 2020. Ancienne cave à vin et épicerie fine reprise en 2020 par Martin Reggiani (34 ans, grande photo ci-dessus, à droite) l'adresse a connu quelques évolutions, comme si, tel un bon vin, elle avait eu besoin d'une phase de maturation avant d'exprimer son plein potentiel. Il y a bien sûr eu quelques collaborations ponctuelles avec des chefs genevois réputés tels que Walter el Nagar et Benjamin Breton. Mais deux événements se sont avérés plus cruciaux que les autres.
À l'origine une cave à vins, Mi Food Mi Raisin a pu affirmer son identité en acquérant l'arcade voisine, équipée d'une cuisine.
Authenticité authentique. En 2022, le jovial Toulousain a d'abord repris l'arcade voisine, équipée d'une vraie cuisine. Puis il a rencontré deux ans plus tard l'actuel chef, Luca Larrieu (28 ans, à gauche sur la grande photo), auteur d'une cuisine fraîche, gourmande, contemporaine et engagée, faisant de Mi Food Mi Raisin une adresse où l'on mange aussi bien que l'on boit, une adresse qui transpire l'authenticité non feinte, celle des vrais bons troquets de quartier, loin des communiqués de presse et des stories Instagram. Si le dernier post de Mi Food Mi Raisin sur ce réseau remonte à près d'un an, c'est que les deux hommes, qui tiennent la baraque, sont occupés à bosser. Leur philosophie ne tolère aucun raccourci: les journées commencent très tôt, et s'achèvent très tard.
100% Biodynamie. Et du travail, il y en a. Martin Reggiani se donne beaucoup de peine pour proposer une carte des vins 100% biodynamique. Pour ce faire, il écume les salons professionnels ici et ailleurs, à la recherche de pépites qu'il achète et importe directement, le cas échéant. Son travail paie: sa carte contient une solide offre de flacons entre 40 et 60 francs: pas mal, surtout au regard des tarifs genevois habituels!
Zero Waste: le pudding, foin, tonka est réalisé avec du pain qui aurait été jeté. Halte au gaspillage!
Choux de bruxelles, escargots (!) et sauce béarnaise fumée, pour le petit twist en plus.
Zéro déchet. En cuisine aussi, il y a du boulot. Le Palois Luca Larrieu s'échine à créer des plats à base d'ingrédients frais, locaux au possible, et dans une optique de zéro déchet, ce qui signifie travailler un maximum de produits bruts. Il a été à bonne école, avec une formation dans les Avant-Comptoirs parisiens du célèbre restaurateur Yves Camdeborde, pionnier et chantre de la bistronomie. Luca Larrieu a également été chef, à seulement 21 ans, des Papilles Insolites à Pau, avant d'aller user le fil de ses couteaux à Ressources, étoilé bordelais du chef Tanguy Laviale. C'est à la suite d'une pige, l'été dernier à Genève, qu'il a rencontré Martin Reggiani. «Son approche de la cuisine, raisonnée et engagée, a rapidement fait écho à ma philosophie des vins naturels. Nous nous sommes vite aperçus que nous avions la même vision», raconte le patron.
Festin pantagruélique. Les plats du jeune chef sont plutôt généreux! Le menu «à la volée», comprenant deux assiettes de finger food, trois plats et deux (!) desserts, s'avère un festin pantagruélique. Agréable surprise, celui-ci est vendu… 65 francs. Compte tenu de sa qualité et de son identité, c'est une sacrée affaire! «Nous ne sommes que deux, nous travaillons énormément, et nous avons de bons fournisseurs pour nous permettre de maintenir ce genre de tarifs», éclaire Martin Reggiani.
Doutes et brûlures. Evidemment, un tel tarif ne signifierait rien sans la qualité qui va avec. Que l'on rassure, les plats de Mi Food Mi Raisin sont à la hauteur. «Si ma cuisine est empreinte de doutes et de brûlures, la composition de mes assiettes trouve son équilibre grâce à mes expériences, ma sensibilité et mon intuition», décrit le chef. Ses plats sont modernes, francs, précis et justes dans les équilibres, avec un appétit marqué, mais mesuré, pour les lacto-fermentations et un amour ostensible des poissons.
Friand de lacto-fermentation, le chef dispose souvent des fruits et légumes fermentés sur ses plats, ici des cerises sur un gravlax de maigre.
Duo de sauces: déjà rendu complexe par sa maturation lente, ce lieu jaune vient avec une sauce au vin et une sauce façon bouillabaisse.
Ikejimé. Ceux-ci arrivent de la criée, et le chef les travaille frais, et entiers, tels ce maigre de ligne et ce lieu jaune, dont il met un point d'honneur à valoriser la moindre arête. Abattu en méthode ikejimé, maturé pendant deux à trois jours en chambre spéciale, puis rôti au beurre… le second poisson est une sacrée démonstration de l'étendue des talents de Luca Larrieu, qu'il accompagne de deux sauces (au vin oxydatif et en fumet façon bouillabaisse), et d'une délicieuse salade d'échalotes aux noisettes. Respect total d'un produit de qualité élevé en plat gastronomique: bon courage pour trouver aussi bon dans un bistrot.
Lacto-fermentation. Outre les poissons, la patte du chef se retrouve dans sa démarche écolo. Celui-ci essaie de réduire et de valoriser au maximum ses déchets. Les peaux de certains légumes sont déshydratées et transformées en condiments, le pain part en crumble une fois grillé, et la bière qui aurait l'audace de couler plus haut que le bord du verre file aromatiser certains plats. Les produits qui risquent de se gâter finissent en lacto-fermentation. «C'est clair que depuis qu'il est arrivé, la poubelle se remplit plus lentement», sourit Martin Reggiani. Et ce n'est pas que pour séduire les sympathisants écologistes: dans une si petite cuisine telle que la leur, c'est une question de survie!
Gourmand et joueur, le vitello tonnato est préparé à partir d'épaule de veau plus grasse que la tranche habituelle. Fenouil, pistaches, et condiment persil - sauge le rendent très léger.
Sur ce dessert aux fraises, crumble de pain grillé et ganache aux herbes, le chef ajoute une couche de saveur supplémentaire avec un gel à l'orange. Simple et fort réussi.
Coup de cœur! Entre les vins nature de Martin et les plats de Luca, c'est un ping-pong de saveurs. Au vu des tables pleines à craquer et du joyeux brouhaha qui règne, on sent que la clientèle ne s'y trompe pas. Voilà deux hommes qui se sont bien trouvés, et que l'on se réjouit de voir jusqu'où ils emmèneront leur restaurant. «Entre nous, ça a été le coup de cœur!», lance Martin Reggiani. Et pour nous aussi!
Le restaurant Mi Food Mi Raisin à Genève
Chemin Neuf 4, Genève
022 700 58 70
Photos: Fabien Goubet, Mi Food Mi Raisin