Signe divin. Basuges? Ce serait l'ancien nom de la commune de Saint-Prex (VD), nous renseigne Yann Klein, chef propriétaire de ce nouveau restaurant sis au cœur du village. Selon la légende, à son décès au VIIe siècle, l'évêque de Lausanne Protasius (qui donnera le Prex de Saint-Prex) fut placé dans l'église de Basuges. Le lendemain, stupeur: personne ne put soulever le cercueil de l'ecclésiastique. Un miracle, clamèrent les fidèles. A moins qu'il ne s'agisse d'une prophétie évoquant une certaine surcharge pondérale? Car au Basuges, on sert une joyeuse cuisine canaille, aussi raffinée… que roborative.
Bistrot. Ouvert mi-octobre, le Basuges se définit comme un bistrot de village. «Nous voulions un lieu où les gens se retrouvent», raconte le chef Yann Klein, 38 ans (grande photo, à gauche). Située sous la tour de l'horloge, la bâtisse est accueillait auparavant un salon de coiffure. Pierres et poutres sont toujours visibles et donnent un côté rustique qui contraste avec le cuivre de l'élégant comptoir, et le verre de la cave à vins. Cheveux et bouc poivre et sel, le chef ne tarde pas à nous inviter à y entrer. «Dans un bistrot, l'aspect vins est important», argumente-t-il, énumérant quelques-unes de ses 180 références «pas choisies sur un catalogue, mais après être allé à la rencontre des vignerons», précise-t-il. Environ «50% des vins proviennent de La Côte, 20% de Bourgogne, et 25% d'ailleurs», ajoute-t-il. Il y en a pour toutes les bourses: les bouteilles sont proposées de 29 à 300 francs.
Carrière étoilée. Si Yann Klein fait de la place aux vins de Bourgogne, ce n'est pas uniquement pour leur qualité, mais aussi parce qu'il a un lien très spécial avec la région, lui qui a travaillé durant cinq ans à la Maison Lameloise, restaurant triplement étoilé du chef Eric Pras à Chagny (Saône-et-Loire), puis durant sept ans dans son antenne chinoise (1 étoile), à Shanghai. Avant cela, le trentenaire a trainé ses couteaux à Flocons de Sel, le restaurant d'Emmanuel Renaut à Megève, lors du passage à la troisième étoile en 2012. Il était également présent pour l'ouverture du restaurant Anne-Sophie Pic à Lausanne, et était un copain de promo de César Troisgros, le Cuisinier français de l'année 2026, à l'Institut Paul Bocuse. Sans vouloir offenser quiconque, qu'est-ce qu'un chef comme ça vient faire dans un bistrot de village à Saint-Prex? «Je suis tombé amoureux de la région», répond en souriant Yann Klein.

De simples œufs mimosa. Le twist du chef: une sauce soubise, et un peu de jambon de bœuf blonde de Galice.

Cabillaud au plat. Ici, l'assiette prend de la hauteur avec un lait d'arêtes et un condiment au citron confit.
Bons petits produits. Au Basuges, on déguste une cuisine cohérente, déclinée en un menu hebdomadaire (42 francs en trois plats), et une carte de trois entrées, trois plats (de 28 à 43 francs) et trois desserts, qui change toutes les six à sept semaines. Des plats simples, faits de produits du marché, locaux, de saison, et de grande qualité. Jambon blanc de Valentin Chappuis, l'éleveur que les chefs s'arrachent, jambon de pata blanca des Frères Alcala, fromages de la Fromagerie de Trélex, pain au levain de chez A deux pains de là, à Lussy-sur-Morges… Chaque produit, chaque ingrédient, chaque vin est le résultat d'une minutieuse sélection.
Chef's kiss. Yann Klein met évidemment sa patte dans les assiettes. Ses jolis classiques bistrotiers sont exécutés avec précision, en y ajoutant un petit twist. Exemple, avec ces très bons œufs mimosa (19 francs), qu'il dépose sur une sauce soubise aux oignons et qu'il agrémente d'un surprenant jambon de bœuf et de quelques éclats de noisettes. Une entrée lisible, réconfortante, mais qui ne manque d'apporter ce petit «chef's kiss» en plus. C’est un produit simple, mais un vrai régal, exactement ce qu’on attend d’un bon bistrot.
Sanglier rieur. Adeptes de la cuisine canaille, Yann Klein et son adjoint Arnaud Bihr (grande photo, à droite) envoient des assiettes copieuses et gourmandes - même si sur ce point, il reste plus raisonnable, au hasard, qu'un Joseph Viola. Sa réinterprétation du gibier consiste ainsi en des champignons de Paris farcis au sanglier, qu'il enveloppe dans de la crépine, avant de les braiser et de les rôtir. Nappés d'un jus de gibier subtilement relevé au chocolat, c'est un plat réjouissant, réconfortant, et surtout joueur: on prend un malin plaisir à découper ces boulettes pour voir avec gourmandise ce qui se cache dedans, et faire barboter tout cela dans la sauce. Les sempiternels accompagnements sont également passés à la moulinette: ainsi, les poires au vin rouge deviennent un agréable condiment, et les spätzlis cèdent leur place à une bonne purée de pommes de terre, ce qui n'est pas pour nous déplaire. Un plat délicieux, qui conserve les marqueurs habituels des bonnes vieilles assiettes de chasse, mais en les apprêtant d'une tout autre manière.

La chasse revisitée: le sanglier est empaqueté dans des champignons de Paris puis dans une crépine.

Mousse au chocolat, millefeuille vanille et reine des prés.
Cabillaud automnal. Nous avons également apprécié un roboratif cabillaud cuit au plat, vautré sur un condiment au citron confit. Servi avec courge butternut et ricotta fumée, il tire sa gourmandise d'une sauce émulsionnée au lait d'arêtes et citron vert. En dessert, les quatre étages du millefeuille vanille et crème à la reine des prés auront tôt fait de rassasier les plus gros appétits, tandis que la mousse au chocolat, tout en retenue, nous a semblé un peu en retrait par rapport à la franche gourmandise du reste des agapes.
Menu enfants. Trois détails ajoutent au capital sympathie du Basuges. D'abord, le chef propose des vrais plats pensés pour les enfants (dont un jambon blanc et nouilles maison, assiette qui, pour 12 francs devrait ravir les petits palais les plus capricieux, et leurs parents). Une trop rare initiative qu'il convient de saluer. Ensuite, l'établissement est ouvert le dimanche, ce qui fera le plus grand bien à tous ceux qui pleurent face à leur frigo vide en fin de semaine. Enfin, le restaurant proposera dès décembre un caveau privatisable (jusqu'à 20 personnes). Après un mois, le Basuges rend donc une copie encourageante. Vu la qualité de la cuisine et du CV de Yann Klein, on ne serait pas surpris que la clientèle s'élargisse rapidement, bien au-delà du paisible village de Saint-Prex.
Restaurant Basuges à Saint-Prex
Photos: Fabien Goubet

