Affable et passionné, il en possède déjà plus de 50 à travers le monde, de Barcelone à San Francisco, qui magnifient une cuisine péruvienne fraîche et vivante, une découverte à la portée de tous, du ceviche au tiradito en passant par les cocktails au pisco. Dans le complexe hôtelier du Mandarin Oriental, le Yakumanka by Gastón Acurio régale désormais les amateurs éclairés dans une décoration marine, aux teintes blanc et azur. Convivialité obligatoire.

Gastón Acurio, pourquoi avoir choisi Genève?

Nous avons tout de suite dit oui à la proposition des responsables du Mandarin Oriental de fonder un restaurant péruvien en Suisse. Ils ont remarqué notre restaurant de Barcelone. Trouver de bons partenaires dans des villes comme Genève fait partie de notre travail. Dans ce monde interconnecté où l’on redécouvre tant de diversité, nous voulons partager notre culture culinaire, cachée pendant des siècles. Montrer des plats que nous avons reçus de nos grands-parents, de nos familles.

 

Quelle image aviez-vous de Genève et de la Suisse?

J’imaginais une ville plutôt conservatrice. Mais j’ignorais qu’il existait déjà plusieurs restaurants péruviens. En réalité, il y en a plus de 40 en Suisse, dont deux qui viennent d’ouvrir à Genève.

Yakumanka

Le premier restaurant de Gaston Acurio en Suisse, se trouve à Genève, dans l'hôtel du Mandarin Oriental.

Faire découvrir, c’est important pour vous?

Absolument. Pour moi, ce lieu est une ambassade, avec une dimension plus affective. Un exemple? Aujourd’hui, une famille suisse est venue manger. Ils ne sont jamais allés au Pérou et ils parlent maintenant de s’y rendre, grâce au repas qu’ils ont dégusté. Là, je me dis que ma mission est accomplie.

 

Que connaissez-vous de la cuisine suisse?

Chez moi, à Lima, quand j’étais petit, mon père m’emmenait souvent dans un restaurant qui s’appelait Le Chalet suisse. Pas seulement pour la fondue, mais aussi pour la choucroute, la raclette, l’émincé de bœuf à la crème et aux champignons. La culture culinaire suisse a toujours été présente dans ma vie. D’autant que plusieurs familles suisses sont autrefois venues au Pérou pour y faire du… poulet rôti. Nous l’avons changé un peu en ajoutant du piment dans les sauces, mais ce sont des Suisses qui l’ont amené.

 

Etes-vous déjà venu ici?

Je connaissais Berne, Zurich et Lausanne, car ma fille a étudié à l’Ecole hôtelière. Etudiant, j’ai surtout passé quatre ans à Paris. Ensuite, mes copains italiens ou japonais ont vite pu entrer dans des restaurants étoilés. Pas moi, parce que j’étais Péruvien, issu d’un pays dont on ne connaît pas la cuisine. Pas grave: j’ai sans doute appris davantage dans les restaurants où je suis allé. Je n’aurais jamais imaginé que j’aurais un jour un restaurant avenue Montaigne à Paris. Un endroit où j’avais peur d’aller quand j’étais jeune, à cause du luxe.

 

Un mot sur le fameux ceviche, le plat que vous mettez en avant. Comment donner envie aux Suisses d’en manger?

C’est un plat moderne qui arrive à un moment où les gens sont intéressés par la fraicheur, les produits. Une époque où ils sont ouverts à la cuisine épicée et n’ont plus peur de manger du cru. Un tel plat, vif et citronné, à base de poisson cru, est facile à aimer tout de suite. Avec un goût puissant, qui te réveille quand tu le dégustes.

 

Les Suisses sont parfois prudents avec les épices…

Manger épicé ne veut pas dire que les gens vont se brûler avec le piment. Nous n’aimons pas cela non plus. Mais nous ne pouvons pas changer notre recette, nous y perdrions notre identité. L’authenticité est une valeur capitale.

 

Et le tiradito ?

C’est aussi un plat cru, qui démontre la multiculturalité du Pérou. Il s’agit d’un mélange entre carpaccio et sashimi, une histoire d’amour entre des familles italiennes et japonaises. De l’huile d’olive, du soja, un peu de piment péruvien et on invente un nouveau plat.

 

Quel rapport particulier le Pérou entretient-il avec le Japon?

Le premier bateau avec des immigrés japonais est arrivé d’Okinawa en 1899, suivi par d’autres. La deuxième plus importante population japonaise dans le monde se trouve au Pérou. Une nouvelle cuisine métissée en a résulté, le nikkei.

 

Allez-vous venir souvent en Suisse?

J’espère. Mais j’ai toute confiance en César, le chef cuisine de Genève. Quand j’ouvre un restaurant, le cuisinier a la responsabilité d’être proche de son équipe, de l’hôtel, des fournisseurs. Je viens juste pour soutenir son travail.

 

Avez-vous d’autres projets en Suisse?

Notre mission est d’apparaître dans beaucoup de villes du monde, pourquoi pas davantage en Suisse? Pour cela, nous avons besoin d’un associé local, qui connaît l’endroit. Chaque fois que nous sommes arrivés seuls avec notre concept dans une ville, cela n’a pas fonctionné.

 

Quel public visez-vous?

Tous les amateurs de cuisine. Nous essayons de proposer des concepts abordables. Nous ne voulons pas d’un système fermé, réservé à des gens qui ont beaucoup d’argent.

 

Quels sont vos premiers prix?

Autour de 20 francs pour un ceviche. Jusqu’à la côte de bœuf pour 4 personnes.

 

Et le décor?

Des restaurants comme celui-ci, il en existe 5000 à Lima. Avec ces couleurs, cette ambiance, cette musique. L’hôtel en est très content. Ils espèrent qu’une clientèle plus jeune sera tentée.

 

Etes-vous un homme de la mer?

Absolument, j’avais même un petit bateau, je suis très attaché au Pacifique. Avant, je pêchais. Maintenant, peut-être est-ce un effet de l’âge, j’ai de la pitié pour les poissons. Je n’aime pas trop les voir mourir.

 

Apprenez-vous encore?

Tous les jours. Je suis né pour être cuisinier. A 51 ans, l’enfant qui rêvait d’être cuisinier, qui goûtait et regardait tout, vit encore en moi. Ce matin, au petit-déjeuner, j’ai observé la viande des Grisons, j’ai réfléchi à la manière de l’intégrer à un plat péruvien. Vivre à côté de personnes comme moi est parfois ennuyeux, car je ne pense qu’en termes de cuisine. En vacances, je ne sais pas quoi faire.

 

Comment procédez-vous quand vous arrivez dans un nouveau pays?

On commence par repérer les produits locaux, pour les intégrer dans nos recettes. On essaie de comprendre la sensibilité du lieu. En Espagne, par exemple, on fait attention à la coriandre, dont les habitants sont peu friands, alors que la clientèle de San Francisco l’adore.

 

Des produits d’ici vous intéressent-ils?

Je viens de découvrir une côte de porc incroyable. Je n’avais jamais vu un cochon aussi grand de ma vie.

 

Où trouvez-vous les poissons que vous désirez?
Un peu par la pêche locale, le reste vient de France. Nous avons un bon fournisseur à Paris et deux bateaux en Bretagne.

 

Avez-vous goûté à la gastronomie suisse?

J’ai eu le temps d’aller manger chez Anne-Sophie Pic, à Lausanne. J’ai aimé le cadre incroyable et le service, qui ressemble à un orchestre symphonique.

 

Quel est l’esprit de vos restaurants?

Je répète au personnel qu’ils doivent travailler comme s’ils allaient recevoir des amis chez eux. Nous voulons célébrer la vie avec respect, naturel et professionnalisme.

 

Que veut dire «yakumanka», le nom de votre restaurant?

En langue inca, c’est l’eau et la casserole. Ce peuple aimait avoir un double langage, à la fois littéral et philosophique. La casserole pleine d’eau est une allégorie pour dire la vie.

 

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Yakumanka,

Quai Turrettini 1

1201 Genève

022 909 00 00

www.yakumanka.ch