Texte: David Moginier
ACCIDENT GÉOLOGIQUE. Le 4 mars 1584, à la suite de plusieurs tremblements de terre, un grand bruit a réveillé Yvorne et Corbeyrier. Un éboulement de boue et de roches descendit du cirque de Plan-Falcon et ensevelit une grande partie des deux villages du Chablais. Sur son chemin, la coulée mit aussi à mal la Maison Blanche érigée onze ans auparavant par Antoine d’Erlach au-dessus d’Yvorne. Ce drame, qui poussa une partie de la population à l’exil, eut pourtant un effet positif puisque l’amas rocheux a créé un terroir magnifique pour les vins. La Maison Blanche, réhabilitée et renforcée en 1609, deviendra un château au XIXe siècle quand la famille Wurstemberger, propriétaire depuis le XVIIIe, lui adjoint deux tours. Les familles rolloises Rosset et Schenk rachètent le domaine en 1930, et le restaurent encore après l’incendie de 1974.
UN TERROIR UNIQUE. Cet éboulement, donc, a créé une épaule sur laquelle les vignes du domaine, huit hectares d’un seul tenant, profitent d’un terroir propice et polyvalent. Ici, la pente est de 35 à 40%. «On est sur dix à douze mètres de cailloux, explique Martin Suardet, le chef de culture. Quand la météo est trop sèche, le sol fait tampon. Et quand elle est trop humide, l’eau se draine naturellement. En plus, ici, c’est assez venteux sur cette bosse, ce qui sèche les raisins et tempère les maladies.» Le vigneron, qui s’occupe aussi du Clos du Rocher voisin, voit bien la différence notable entre les deux vignobles.

Le père et le fils: Jean-Daniel et Martin Suardet.

Le sauvignon blanc 2022 du domaine de la Maison Blanche.
CÉPAGE EMBLÉMATIQUE. Bien sûr, le chasselas est le porte-étendard de Maison Blanche, dont il occupe 85% des surfaces. Un chasselas plutôt floral, que marquent moins les millésimes difficiles, comme le 2024 qu’on déguste aujourd’hui avec bonheur. Les vignes sont cultivées à 90% en bio. Les derniers mètres peu mécanisables sur les hauts de cette parcelle qui va de 450 à 650 mètres d’altitude sont encore un challenge pour ce concept de culture. Le domaine est un des pionniers d’Yvorne Grandeur Nature, a première appellation de Suisse entièrement impliquée dans un modèle de développement durable, respectueux de la faune et de la flore.
L’AIDE DU VENT. «Avec les vents nocturnes qui descendent le torrent le long de vignes, et les thermiques qui remontent la journée, nous avons presque un climat de montagne», sourit Martin Suardet. Le chasselas est vinifié sur place, «quelques minutes après avoir été vendangé», de manière traditionnelle, dans de grands foudres de chêne qu’on peut admirer dans la cave, sous la supervision de l’œnologue vedette de Schenk, Thierry Ciampi.
DIVERSIFICATION RÉFLÉCHIE. Ici, il y a peu de place pour beaucoup de spécialités. Une petite surface abrite les traditionnels pinot noir, gamay, gamaret, garanoir et galotta qui seront assemblés. Il y a une vingtaine d’années, au moment de planter des spécialités, Jean-Daniel Suardet, le père de Martin, avait étudié divers cépages avant de choisir le savagnin blanc. «Nous n’avons pas voulu l’appeler Païen ou Heida, comme en Valais pour lui garder sa spécificité», explique Philippe Schenk, le régisseur du domaine. Et le terroir convient également très bien à du cabernet franc, vinifié en cépage pur, souvent en grappes entières, dans la pureté du cépage. «Nous n’avions pas envie d’avoir dix spécialités. Nous faisons d’abord du chasselas, et nous le faisons bien», poursuit Philippe Schenk.
UNE FAMILLE IMPLIQUÉE. Si le Château Maison Blanche est dans la galaxie Schenk, les propriétaires peuvent compter sur une famille vigneronne talentueuse. Après Jean-Daniel Suardet qui a développé le domaine pendant des décennies, c’est donc son fils Martin qui poursuit l’aventure. S’il n’a pas suivi la voie vigneronne au début de sa carrière, il y est vite revenu, suivant un apprentissage qui lui a permis de voir toutes les facettes du métier, de la pépinière à la cave, en passant par des domaines en Suisse alémanique, en France, en bio ou en biodynamie. Il a ensuite passé son brevet fédéral de viticulture avant de se retrouver aux commandes en novembre 2019. Comme son père, il accumule les récompenses dans les concours, et il est fier de voir le chasselas inscrit dans le trésor de la Mémoire des Vins suisses.
UN LIEU D’ÉVÉNEMENTS. Enfin, le château accueille toute l’année nombre de manifestations privées et de mariages, qui profitent de la tranquillité d’un lieu à part, d’une vue éblouissante sur les vignes, d’un large choix de traiteurs et, bien sûr, d’une belle cave de vins.
COUP DE CŒUR
Le chasselas 2003, tout de finesse, de droiture et d’expression rare pour un chasselas.
ACCORDs gourmands
Pour Martin Suardet, le savagnin blanc dont la fraîcheur fait agréablement face au crémeux d’un vol-au-vent aux champignons. Pour Philippe Schenk, le chasselas se marie bien à une volaille en sauce, en plus du traditionnel poisson.
EN CAVE
chasselas 2024, savagnin blanc 2023, assemblage rouge 2024, cabernet-franc 2023
Les chefs GaultMillau qui servent leurs vins
Marie Robert au Café Suisse de Bex (16/20), Julien Corthésy au Café de la Fontaine à Aigle (13/20), Lucille Rougeron et William Bouton à l’Ancolie à Gryon (13/20).
Photos: Regis Colombo, DR
