Grand Resort Bad Ragaz

Il n’aura pas fallu cinq ans pour que Silvio Germann obtienne 18 points. En effet, ce Lucernois a développé un concept de partage de haute volée. Il a aussi su sortir de l’ombre de son maître, Andreas Caminada. Silvio Germann s’est par ailleurs trouvé, au service et au choix des vins, un partenaire idéal en la personne de Francesco Benvenuto.
Ainsi l’Igniv est plein pratiquement tous les soirs. On y sert des menus déclinant une vingtaine de petits plats. Les cinq premiers sont remarquables. Un œuf à la royale en fait toujours partie. Puis il y a ce chou-rave au caviar de féra, de la truite aux perles glacées de crème acidulée et une formidable tartelette aux asperges émincées. Ces dernières sont tantôt étuvées, tantôt flambées, ou encore macérées avec une splendide mayonnaise à l’huile de noisette au citron d’Amalfi.
Le sandre du lac Majeur est proposé mariné au fenouil et relevé de vinaigre de sureau. Le tartare de bœuf à la crème de jaune d’œuf, oignons en saumure et bourgeons de sapin est un classique des lieux, tout comme le foie de canard fondant, en tranche fine striée de chocolat. Ici, on mange aussi avec les doigts. Notamment la salade pommée à la peau de poulet grillée et au piquant jalapeño mexicain. Parmi les entrées les plus appétissantes, voici les langoustines légèrement fumées, grillées en brochette, garnies de pastèque, de céleri branche et de miso.
Il ne faut surtout pas manquer les incroyables potages du chef: ce jour-là, c’est le tour d’une essence de pintade où nagent de fins raviolis farcis de chair de pintade enrichie de foie d’oie. Chef-d’œuvre! Les amateurs d’abats se rueront sur le ris de veau servi avec des copeaux de truffe de la région. La laitue braisée ne comble pas que les végétariens, tandis que les rouleaux de pomme de terre sont enrichis de caviar et le turbot au beurre blanc est habilement citronné.
A l’Igniv, les desserts sonnent toujours deux fois. D’abord sous leur forme traditionnelle (soufflé vanille, œuf à la royale au chocolat, à l’oseille et à la mangue). Puis à emporter dans un sachet (chocolats fins, pralinés, gelées, madeleines et cannelés) en guise de souvenir d’une merveilleuse et délectable soirée.
Après des débuts un peu timides, Sven Wassmer a atteint sa vitesse de croisière culinaire en haute altitude. Sa brigade enthousiaste s’active dans la vaste cuisine ouverte. Cela dit, juste à côté, un autre jeune chef, Silvio Germann, obtient également 18 points à l’Igniv by Caminada. Un tel cumul vaut au Grand Resort le titre d’«Hôtel de l’année» 2021. En l’occurrence, c’est la troisième fois!
Sven Wassmer apporte en personne les amuse-bouches à la table et en profite pour présenter ses fournisseurs et amis grisons: Marcel Foffa, de Pratval, qui a livré les carottes et les colraves, Marcel Heinrich, de Filisur, qui lui fournit les pommes de terre cornes de gatte, et Martin Bienerth, d’Andeer, qui produit la crème acidulée. Il en résulte de petites œuvres d’art: une délicieuse pomme de terre mollette, confite dans la cire d’abeille et présentée sur un rayon de ruche; une profiterole de tartare de vache grise rhétique; une carotte cuite en son jus, aromatisée d’argousier et de graines de chanvre; un colrave tout juste récolté, parfumé d’ail noir doux. Ces amuse-bouches sont devenus la carte de visite du lieu.
La fraîcheur des produits sert de fil rouge au repas. Ainsi une simple salade pommée devient une sensation. Puis il y a des surprises: un flan de petits pois à l’argousier et au piment; les asperges de Gian-Battista von Tscharner, le vigneron de Reichenau (GR), fermentées dans le petit-lait, garnies de pointes d’asperges traitées en aigre-doux et parfumées de sarriette.
L’art de Sven Wassmer s’affirme particulièrement dans le poisson. A l’instar de cet omble du Val Lumnezia fumé trois minutes avec la peau, chauffé dix minutes sous la salamandre et aromatisé de crème d’alpage et de bourgeons de sapin. Deuxième délice: la féra du lac de Zoug. Elle est pochée quatre minutes dans le vinaigre, sa peau est incisée et flambée, relevée d’oseille et de raifort. Il va de soi que les plats de viande en imposent aussi. Les tendres ris de veau sont enrichis de chou-fleur, livèche et yogourt. Le plat de résistance est un carré de «vache de 13 ans nommée Mady», en réalité du bœuf angus finement tranché, grillé sur charbon de bois avec ce qu’il faut d’umami sous la forme d’une pâte de légumes.
Surprise à l’heure du dessert: le chef pâtissier, Andy Vorbusch, a préparé un sorbet de groseilles blanches, une pâte brisée ou nougat de foin et les premiers abricots de la saison. Côté vins, l’épouse de Sven, Amanda, s’y entend pour marier les crus et les mets et nous fait bénéficier de plusieurs découvertes, dont un pinot noir de Carina Lipp-Kunz, de Maienfeld (GR), dans son magnum débité au verre.