Texte: Siméon Calame
«Le poulet au curry avec du riz, tout simplement.» Lorsque nous avons proposé à Yoann Provenzano de cuisiner le plat de son choix avec le chef de son choix, l’animateur notamment de l’émission Cash (un samedi sur deux à 20 h 10 sur RTS 1) n’a pas hésité: «Du poulet au curry avec du riz, tout simplement.» Et on peut le dire: passer quelques heures avec ce joyeux luron est aussi délicieux que le poulet au curry du chef Jacques Allisson (15/20), dans son Jacques Restaurant au 15 de la rue Beau-Séjour, à Lausanne.
(Grande photo ci-dessus: Jacques Allisson (g.) et Yoann Provenzano (d.))
S’il était au courant de la demande simple de l’humoriste, le chef «Découverte de l’année» 2022 du GaultMillau a tout de même prévu quelques «twists» à cette recette: le riz se présente en «croquettes», la volaille en ballottine de cuisses farcies des suprêmes, et la sauce au curry se décline avec du vadouvan (un curry doux agrémenté d’oignon, d’ail et d’herbes). Ce qui a bien plu à Yoann Provenzano et occasionné quelques jolis éclats de rire. Interview les mains dans la sauce au curry.
Vous n’avez pas hésité en choisissant un simple poulet au curry et du riz. Pourquoi ce plat?
Mon père est restaurateur à Villeneuve (au Restaurant du Nord, ndlr). Quand j’étais enfant, je passais ma vie dans ses cuisines. A midi, j’y mangeais le plat du jour, quel qu’il soit. Mais jamais du poulet au curry, car il n’en cuisinait pas. C’était un peu le plat «plaisir» qui me sortait du quotidien. Et c’est avec le poulet au curry que j’ai découvert que l’on pouvait manger sucré-salé, ce que j’apprécie bien aujourd’hui.
Votre poulet au curry de l’époque, il contenait de l’ananas?
Régulièrement, oui! Et de temps en temps du physalis.
Et la version de Jacques Allisson, comment la trouvez-vous?
Ce n’est pas tout à fait le poulet au curry dont j’ai l’habitude, mais il cuisine bien, le bonhomme! C’est rigolo, le riz frit, ça fait un peu röstis (rires), croustillant à l’extérieur et fondant à l’intérieur. La ballottine de cuisses de volaille farcies aux suprêmes est vraiment tendre et pompe bien la sauce. Une sauce qui, si j’ai bien compris, est à base d’un type précis de curry, le vadouvan. On en apprend tous les jours!
On a vu comment vous coupez les oignons, vous avez la cuisine dans le sang!
N’exagérons rien! J’aime bien cuisiner mais je me limite à des plats simples, comme les salades garnies pour lesquelles je fais de super sauces. Je cuisine plus souvent mais ma copine, Pauline, cuisine mieux… Même si c’est moi qui lui prépare ses Tup’ à emporter.
Plus jeune, vous avez envisagé de travailler dans le même métier que votre père et votre grand-père, tous deux restaurateurs?
Très honnêtement, non. C’est vrai que cela fait plus de trente ans que mon grand-père tient son restaurant, que mon père a repris il y a quelques années, mais ils m’ont toujours dit qu’il ne fallait pas que je me lance dans la restauration. J’ai beaucoup traîné dans leurs pattes et pas mal appris à propos de la cuisine, mais y travailler, non. Toutefois, j’ai senti que mon père était un peu affecté de mon choix de continuer mes études (en français et anglais afin de devenir enseignant, ndlr) et de ne pas reprendre les fourneaux. Il se disait peut-être qu’en tant que grand de la fratrie ce serait bien que je continue la filiation.
Hors du restaurant familial, la nourriture et vous, c’est une longue histoire.
Longue et qui n’a pas toujours été positive. Car, petit, j’étais «le p’tit gros» et en ai beaucoup souffert. Puisque j’avais toujours de la nourriture à portée de main, l’envie de grignoter étais constamment forte, et ma gestion de l’excès n’était pas la meilleure... Puis je me suis mis au sport, notamment au football au niveau cantonal, et ma relation quantitative à la nourriture s’est calmée. Même si je dois avouer qu’il m’est difficile de laisser un paquet de chips non fini (sourire en coin)... Aujourd’hui, je fais du sport surtout pour pouvoir manger ce que je veux, c’est pour vous dire à quel point le bien-manger fait partie de ma vie!
Justement, qu’est-ce que vous aimez manger?
Grâce à Pauline, qui est à moitié Vietnamienne, j’ai découvert la nourriture de son pays, et je l’apprécie énormément. Nous y sommes allés et c’est là-bas que j’ai vécu ma plus grande émotion gastronomique (il sourit largement).
Dites-nous en plus...
Nous étions au bord d’une route où passaient des scooters à vive allure, assis sur des chaises en plastique à 40 centimètres du sol, une situation qu’on ne verrait pas en Suisse. Toujours est-il que le bo bun que nous avions commandé s’est révélé être excellentissime! Sans aller jusqu’à cet extrême-là, j’ai l’impression que c’est dans des lieux simples que l’on mange avec le plus d’émotions.
Vous allez souvent au restaurant?
Oui, quand même. Et mon métier le demande, après des spectacles ou lors des tournages. C’est plutôt des bistrots que des gastros, mais cela m’importe peu, car ce n’est pas tant l’écrin qui prime, c’est ce qu’on y mange. En privé, j’aime passer une soirée au restaurant pour vraiment profiter du repas. Comme il y a trois mois, lorsque je suis venu chez Jacques avec Pauline. C’est de cette superbe soirée que m’est venue l’idée d’aller chez lui pour cuisiner ce poulet au curry.
Voyez-vous des ressemblances entre le métier de Jacques Allisson et le vôtre?
Enormément! Premièrement, nous fonctionnons tous deux de manière spontanée pour une part importante de notre travail: que ce soit le chef face aux ingrédients disponibles en saison ou moi face à l’actualité, nous devons plus ou moins faire avec quelque chose d’imposé, avant de passer à la créativité. Un autre aspect qui n’est pas anecdotique, c’est que nous travaillons quand notre public est dans son temps libre. Mais c’est pour le mieux, car notre objectif commun, c’est de faire plaisir aux gens: moi pour les faire rire, Jacques pour les nourrir. Il n’y a rien de plus beau que de vouloir faire rire ou nourrir les gens!
Si vous pouviez choisir n’importe qui, avec qui passeriez-vous une soirée au restaurant?
Zinédine Zidane ou Ronaldinho. Enfin non, plutôt Action Bronson, de son vrai nom Arian Asllani, rappeur américain et cuisinier de formation, qui donne plein de conseils de restos un peu partout dans le monde.
Pour conclure, le vin, ça vous parle?
(Il met son verre de vin à son oreille et rit.) Oui, il me parle! Plus sérieusement, ça m’est venu sur le tard, vers 25 ans. Plus jeune, j’étais à la bière et, petit à petit, j’ai appris à apprécier le vin. Je prends vraiment mon kif avec un rouge bien tannique, qui te colore les dents!
Photos: Julie de Tribolet