Texte: Siméon Calame | Photos: Eva Bigeard

«J’arrêterai la cuisine dans cinq ans.» La phrase lâchée, Benjamin Breton s’explique: l’ancien chef du Fiskebar (Genève, 16/20 et une étoile Michelin à son époque) ne veut plus sacrifier sa vie «pour un univers qui lui a tant pris». Alors il profite de faire ce qu’il veut. Et cela se ressent dans sa cuisine, entièrement confectionnée sur place (même le beurre!), réalisée à partir d’ingrédients sourcés au plus près et au plus éthique, et désormais véritablement acérée. Car après l’ouverture il y a deux ans du Bistrot de la Madeleine, à Lucinges (France voisine), le chef, à peine trentenaire, a ouvert les portes au printemps dernier de la table gastronomique attenante, «L’Auberge de Lucinges».
(Grande photo ci-dessus: l'entrée au petits pois et la quenelle de brochet)

Auberge de Lucinges

Affable et rieur, Gautier Michaud met en avant...

Auberge de Lucinges

... les plats de son complice Benjamin Breton: ...

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... pas besoin de se parler pour se comprendre.

Un directeur de salle qui met à l’aise. À une petite demi-heure du centre de Genève, sur une place de village charmante, on est accueilli par un staff adorable. Ce n’est plus Pierre Lelièvre, maître de salle et associé de longue date de Benjamin Breton, qui décoche de grands sourires aux épicuriens arrivant, mais l’avenant Gautier Michaud. Ancien directeur de salle de David Toutain (Paris, 17/20, 2*), Guy Savoy (Paris, 19,5/20, 2*) ou encore Yoann Conte (Veyrier-du-Lac, 19/20, 2*), c’est en jeans et baskets que le trentenaire raconte les plats, les vins et les valeurs de l’Auberge. Une histoire qui régale. À commencer par cette tomate cerise confite au vinaigre de framboise, vrai bonbon à la vivace acidité. Les haricots verts à la braise et leur crème aigrelette à la menthe n’ont rien à lui envier.

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La quenelle de brochet se parfait d'une sauce au cresson et à l'oxalys.

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Le taco de capucine, lui, est un exemple de gourmandise.

Le thon? (Presque) pas assaisonné! Puis, l’aventure démarre indubitablement. Enveloppée dans une gelée de cosses, une nuée de petits pois fendent sous la dent et laissent apparaître un mélange de textures réussi, soutenu par cette fabuleuse et douce glace aux cosses de petits pois et ce nuage de yaourt de chèvre. «Notre menu se compose de sept plats, mais d’une vingtaine d’assiettes, explique Benjamin. À l’avenir, j’aimerais doubler ce nombre! J’aime l’idée de découvrir un plat en plusieurs services, de trouver des synergies entre différents ingrédients et ainsi, de les faire converger en un ensemble unique.» Ainsi, la tiède et croustillante focaccia, que Gautier nappe à table d’un intense jus de tomate, dialogue agréablement avec un méli-mélo iodé d’exquises tomates aux huîtres, moules et coques. À leurs côtés, une fine tranche de thon cru et non assaisonné reçoit une râpée de garum (condiment à base d’entrailles de poisson fermenté). Une ode à la pureté.

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Artiste, Benjamin Breton? Voyez plutôt.

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Somptueux travail autour du chevreuil d'été, en quatre façons.

Le beurre? Fait maison, bien sûr! Alors qu’une famille finit de prendre l’apéritif sur la terrasse et que l’on entend la salle du bistrot festoyer, on croque dans un morceau de pain au levain - maison, bien sûr - tartiné d’un beurre - maison, bien sûr - dont le chef est très fier: «Nous ajoutons un peu de beurre noisette pour lui donner une autre rondeur.» Difficile de ne pas le terminer, d’autant plus avec un bon verre de vin - nature ou biodynamique -, choisi en accord par Gautier, qui nous chuchote vouloir resserrer sa carte des vins, actuellement gonflée de 550 références. Ensuite, ne zappez pas l’inouïe quenelle de brochet! Cachée dans une fleur de courgette et crémeuse à souhait, elle se relève d’une onctueuse sauce au cresson et à l’oxalys, puissant coup de poing équilibrant le tout. «Le meilleur, c’est le taco de capucine, brochet en tempura et gel cresson-capucine…», nous glisse le directeur de salle en déposant l’accompagnement. Meilleur que la quenelle? Dans tous les cas, exceptionnel pour une si petite bouchée: croquant, crémeux, croustillant, fondant, tout y est.

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Glace au lait cru, huile au genévrier et cassis préservés.

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Crumpet au caramel de miso et glace à la levure sur émietté de pain grillé.

De l’art et du chevreuil. On admire le tableau constitué d’une moelleuse truite ikejime (technique ancestrale japonaise pour tuer le poisson en réduisant le stress et la souffrance, qui augmente ainsi la qualité de la chair), d’une sauce à la reine des prés et de condiments à la carotte et à l’abricot (quel punch, celui-ci!). Le mini «lobster-roll» à l’écrevisse, à déguster avec les doigts, arrive sur une dalle de pierre, tandis qu’un petit bol renferme un savant mélange concentré constitué d’une bisque d’écrevisse, d’un condiment à la carotte et d’une écrevisse craco-fondante. Le chevreuil d’été, lui, on le déguste en saucisse (maison? évidemment!), en tartare et en côtelette soulignée de jus au kombucha. La purée de pomme de terre cache un effiloché de chevreuil à la gourmandise infinie.

Les desserts tutoient la perfection. Pour terminer le menu, voici les crumpets (un hybride entre pain et pancake) au caramel de miso, assortis à une particulière glace à la levure et son émietté de pain grillé. Dans la dernière assiette? Une épatante glace au lait cru, très ronde, subtilement chapeautée d’huile au genévrier et déposée sur une cuillère de cassis préservés légèrement acidulés. Dans son écrin campagnard où simplicité et authenticité règnent en maîtresses, l’heureux Benjamin Breton ose et assume sa franchise avec panache. Et même s’il ne sera plus là dans cinq ans, on se réjouit de sa fugace aventure à Lucinges.

 

>> www.laubergedelucinges.fr