Hommage de Frédy Girardet. Pierre Troisgros est décédé hier, à l’âge de 92 ans, véritable légende de la nouvelle cuisine française des années 1970. A la même époque, en Suisse, c’est Frédy Girardet qui renouvelle la cuisine, avec à la fois un même respect de la tradition et un regard totalement novateur: «Les frères Troisgros ont été pour moi une révélation. Je les ai rencontrés pour la première fois il y a cinquante ans, et ils m’ont fait découvrir une autre cuisine. Ils ont aussi été les premiers à sortir en salle, où chaque repas n’était que joie, bonheur et plaisir. J’ai aussi eu l’honneur de former Michel, l’actuel patron, à Crissier. Je tiens donc à rendre hommage à Pierre Troisgros, avec amitié et respect.»

 

1968, la «catastrophe». C’est cette année-là que l’histoire de la famille Troisgros bascule: «J’ai découvert le meilleur restaurant du monde», titrait Christian Millau en 1968 dans le magazine GaultMillau. Cette même année, un matin, Pierre Troisgros est allé à la Maison de presse de Roanne acheter son journal et le guide Michelin. La vendeuse lui a paru bizarre. Mais il a repris son chemin tout en feuilletant le guide rouge. Et c’est là, à la page de Roanne, qu’il découvre que Troisgros y figurait avec trois étoiles! «C’est une catastrophe», aurait-il murmuré, pensant à la pression que cela impliquait… C’est du moins ce que Jean-François Mesplède raconte dans son ouvrage Trois étoiles au Michelin. 1968 marque donc la consécration de la mythique maison Troisgros, qui jusqu’à maintenant brille parmi les meilleures tables de France. Mais aujourd’hui, elle est en deuil.

 

Saumon à l’oseille. Les frères Troisgros, Pierre et Jean, faisaient partie des précurseurs de la cuisine allégée, dans une famille où l’on se dédie à la gastronomie de père en fils. Et cela continue à présent depuis quatre générations. En 1968, tout le monde connaît déjà le fameux saumon à l’oseille, un plat phare de la maison, qui demeure une référence, mais qui fut créé presque par hasard! En effet, un jour de 1963, les deux frères s’initient à l’aplatissement du saumon quand leur maman rentre du jardin avec une poignée d’oseille. Hachée, l’herbette est associée à de l’échalote, du vin blanc, du vermouth et de la crème. Une fois réduite, la sauce est irrésistible. Et le saumon à l’oseille s’est imposé comme plat de référence.

 

Privilège de l’âge, je fais partie des convives qui ont eu le bonheur de s’attabler chez Troisgros, à Roanne, il y a déjà une trentaine d’années, bien avant que la maison ne déménage à Ouches. De ce repas je garde un souvenir d’absolue délectation dans un cadre qui, à l’époque, paraissait d’une modernité épatante. Preuve qu’un repas, quand il porte une signature et qu’il est le reflet d’un vrai projet, permet à ceux qui le dégustent de se forger des souvenirs pour la vie. Merci aux frères Troisgros, merci Pierre Troisgros, pour tout le bonheur que vous avez transmis à vos hôtes.