Texte: Knut Schwander Photo: Julie de Tribolet

«Découverte de l’année» 2015 du GaultMillau, le Montreusien Mathieu Bruno, 38 ans, s’est imposé sur la scène gastronomique suisse. D’abord Au Paysan horloger, dans les Franches-Montagnes. Puis au Là-Haut, à Chardonne, où il a remporté son 16e point et une étoile Michelin, avant de recevoir le prestigieux Mérite culinaire suisse. Tout ça en cinq ans: une ascension fulgurante! Mais le covid l’a incité à revoir sa copie: à la réouverture (en juin?), son restaurant ne sera plus tout à fait le même.

 

Vous changez de concept, est-ce que votre restaurant ne marchait pas?

Au contraire, l’été passé, tout particulièrement, on a cartonné! J’ai eu un peu peur de la réaction des clients quand on a passé au menu unique. Or ils se sont montrés enthousiastes! Si je décide de changer, c’est pour d’autres raisons.

 

En plein succès, vous jetez l’éponge?

Il n’est pas question de jeter l’éponge et je ne vais pas passer au steak frites! Je veux proposer une cuisine qui me ressemble, intégrant les meilleurs produits, la surprise et la créativité. Mais avec des dressages moins complexes. Finis aussi les grands menus à rallonge: j’aimerais intégrer plus de spontanéité. Et pour compléter cette offre, une carte des vins riche, mais abordable.

 

De beaux produits, de beaux flacons et des prix abordables: comment allez-vous tourner?

Pour assurer un service de grande maison, il faut beaucoup de personnel, donc un budget conséquent et une gestion de ces brigades. Or, depuis un moment déjà, je me pose des questions sur la pression et l’énergie nécessaires à la bonne marche d’un restaurant de ce type. Etre «Découverte de l’année» m’avait boosté. Et j’ai pris un rythme de travail effréné. Maintenant, je réalise que j’aimerais souffler un peu.

 

Est-ce le changement de rythme dû au covid qui vous a poussé à reconsidérer les choses?

Pouvoir passer du temps avec mes deux filles de 3 et 5 ans m’a fait réfléchir à la gestion de mon temps. J’ai aussi découvert tout ce que mon métier tel que j’avais entrepris de l’exercer ne me permettait plus de faire. Puis, nous nous sommes séparés avec Milène, mon épouse, et là, j’ai compris qu’il fallait changer de cap.

 

Vous visez un restaurant plus simple, donc?

Oui, seul aux commandes, le rythme de l’année passée ne serait pas tenable. Sans compter que sur le plan financier, le bénéfice n’est pas à la hauteur de l’investissement. En faisant du service traiteur, j’ai eu l’occasion d’échanger avec mes clients. Ils sont nombreux à dire que le créneau du haut de gamme est largement occupé et que les restaurants de ce type, on n'y va pas tous les jours.

 

Le grand restaurant, c’est du passé?

Non, il y a toujours de l’intérêt pour ce type de restauration. Et certains jeunes chefs font des choses magnifiques. Ma démarche est personnelle. C’est à la fois un désir de répondre à ce que demande une partie du public et le choix, pour moi, de changer de rythme tout en continuant à proposer une cuisine qui répond à ma passion.