Une marque discrète. Champagne Salon. Un nom passe-partout, une étiquette au design lambda, loin des piscines de clips musicaux et autres codes bling-bling… Avez-vous déjà vu ces bouteilles? Probablement pas. Pourtant, c'est sans doute l'une des marques les plus respectées par les connaisseurs. Maison de champagne méconnue du grand public, Salon fait dans la discrétion. Il faut dire qu'avec une production modeste (quelques milliers de bouteilles tous les trois ans) et des exportations contrôlées (à peine 60 bouteilles allouées à la Suisse chaque année), la marque n'inonde pas les étagères des cavistes. Et cela se ressent naturellement sur les tarifs: jetez un œil en ligne, vous ne trouverez pas grand-chose à moins de 600 ou 700 francs, et beaucoup de références dépassant allègrement les 1000 francs.

Au cœur de la Côte des Blancs, l'église romane du Mesnil-sur-Oger, dans la Marne, entourée de vignes de chardonnay.
Un champagne atypique. C'est en remontant à ses origines historiques et géographiques que l'on comprend mieux les particularités de ce champagne pareil à nul autre. Propriété de la Maison Laurent-Perrier, Salon (tout comme sa marque sœur Delamotte), est basée au Mesnil-sur-Oger, au cœur de la Côte des Blancs. Originaire de la région, Eugène-Aimé Salon, y revient en 1905 après une carrière dans la fourrure à Paris. Avec de modestes revenus, l'homme doit commencer avec une seule et unique parcelle de moins d'un hectare. Non issu du sérail champenois, il ne pouvait produire qu'un champagne à son image: atypique. Sa première cuvée est faite avec 100% de chardonnay, ce que personne ne faisait à l'époque. C'est ainsi qu'est né le premier blanc de blancs millésimé de Salon: un seul cépage, un seul terroir, un seul cru, une seul année. Ce sera sa marque de fabrique.

Un seul terroir, un seul cru, un seul cépage, une seule année: Eugène-Aimé Salon a immédiatement eu une idée bien précise (et à contre-courant) du champagne qu'il voulait en 1905.

Il ne sort en moyenne qu'un millésime tous les trois ans. Le 2015, avec son été record d'ensoleillement et de sécheresse, était le quarante-cinquième.
Obsession de la qualité. En 1921, la Maison Salon, après acquisition de 19 parcelles supplémentaires soigneusement sélectionnées, est officiellement fondée. Elle se fait une place dans les restaurants parisiens, dont le célèbre Maxim's. Puis en 1928, après un excellent millésime, Eugène-Aimé Salon décide de ne produire que lors des meilleures années, soit environ une fois tous les trois ans — une règle toujours d'actualité. Par ailleurs, ces champagnes issus des sols calcaires acides de la Côte des Blancs bénéficient d'une longue garde pour dompter leur acidité. Obsession de la qualité, production ultra limitée, garde en cave: voilà les ingrédients qui expliquent pourquoi ce champagne est si onéreux.

Le champagne Salon est fabriqué à partir des vignes de 20 petites parcelles du Mesnil-sur-Oger.

Les champagnes sont gardés en moyenne dix ans.
La meilleure sommelière approuve. Mais tout cela serait vain si ces champagnes n'étaient pas fantastiques. Contactée, la «Sommelière de l'année» 2026 de GaultMillau, Charline Pichon, de l'Hôtel de Ville de Crissier (19/20), raconte la dégustation d'un millésime 1983 qui lui a procuré «une grande émotion»: «Certes, les bulles s'effacent un peu avec le temps, mais c'est aussi ce qui fait son charme. Malgré tout, le champagne n'avait aucune oxydation, preuve de la maîtrise de la fabrication, entièrement à la main». A Crissier, elle sort une bouteille ou deux par an, guère plus. On ne trouve du Salon que dans ce genre d'établissement, et dans les palaces.
Le sol, 75% du verre. Intrigué, GaultMillau s'est rendu à une dégustation organisée fin septembre à Genève. «Notre ADN est écrit dans ces sols calcaires des blancs de blancs. Le sol et les vignes, c'est 75% de ce qu'on a dans le verre», a décrit, un Millésime 2015 à la main, Cristian Rimoldi, le directeur export de la marque. Après neuf ans en cave et un an en bouteille, le champagne montrait une belle couleur dorée, parée de pâles reflets verts. L'expert s'était réjoui d'une «dualité entre le nez expressif et ouvert, et la bouche droite, tout en finesse et en élégance». Vérification faite, ce champagne était d'une finesse inouïe, tout comme les autres millésimes dégustés ce jour-là. Fait amusant, pour l'expert, ce 2015 serait encore meilleur avec une garde prolongée. D'ailleurs, le 2014, jugé pas encore prêt, patiente toujours en cave, quand bien même le 2015 est sorti. Ainsi vont les choses avec Salon: c'est prêt quand c'est prêt.
Photos: Leif Carlsson

