Photos: Darrin Vanselow

Une histoire de chiffres. On pourrait raconter l’asperge en quelques chiffres. Des nombres à psalmodier façon poème de mathématicien. Un calcul long comme les jours de l’année, à décompter avant le retour de la belle tige. Blanche, verte ou pourpre, qu’il pleuve ou qu’il vente, la saison de l’asperge ne dure qu’une bonne cinquantaine de jours. Pérenne, la plante d’asperge ressemble à ses débuts à une griffe, plantée à 28 centimètres de profondeur. La griffe se fait rhizome et de là pousse une tige, appelée turion, qui devient asperge. Comme un pied de vigne, elle mettra trois ans à donner une demi-récolte, cinq ans avant d’offrir un butin complet. On récolte alors entre 600 et 800 gammes de blanches au mètre carré. Par an, donc. Entre 500 et 700 grammes de vertes, toujours au mètre carré, annuellement. Une asperge, une seule variété, mais deux couleurs: la blanche est une verte qui n’a jamais vu la lumière. La Miss plébiscitée par la majorité des restaurateurs a des mensurations de rêve: une tige longiligne de 23 cm, un tour de pied de 22 millimètres de diamètre. C’est ainsi qu’elle séduit le mieux le convive et se pavane, vedette de l’assiette printanière. Muse des pipis odorants, l’asperge est un légume diurétique:18 calories aux 100 grammes, 93,6% de flotte, du potassium, du phosphore, du calcium, du magnésium, des vitamines C, B1 et B2. L’équation est un succès: en 2017, les habitants du pays ont consommé près de 1,4 kilo d’asperges par habitant contre 500 grammes dans les années 80.

25.04.2019 - Saillon - Le Gault Milau producteur d'asperages.

Maurice Dussex, 67 ans, dans son exploitation de Saillon.

Une histoire de passion. Aussi longue et précise soit-elle, cette litanie de nombres ne dit rien de l’énergie et de l’amour qui anime le producteur d’asperges. Ce type courbé, gouge à la main, qui déterre la jeune pousse et son bourgeon immaculé de sa butte de terre limoneuse, est pourtant indéniablement un passionné. Fils de cultivateurs d’asperges, Maurice Dussex a l’accent valaisan si prononcé que ses intonations évoquent presque le Québec. Casquette vissée sur la tête, œil malicieux et geste vif, ce grand fan de football affirme être «comme Obélix». Comprendre: il est tombé dans la marmite de l’asperge dès sa plus tendre enfance. Il est intarissable sur le sujet et sur son exploitation, plantée là où autrefois le Rhône avait fait son lit et laissé ses sédiments. Un terroir devenu véritable écrin pour les asperges. En 2018, le Valais comptait d’ailleurs 35 producteurs professionnels dans la plaine du Rhône entre Sierre et Collombey-Muraz, dont quatre à Saillon, sur les 180 producteurs du pays. Ici, la terre est meuble, presque sablonneuse: un paradis pour la blanche. Chez les Dussex, entre les sommets du Grand Garde et de la Pierre Avoi, sur un parterre d’herbe et de pissenlit, les tunnels recouverts de bâches de plastique blanches permettent de favoriser les récoltes précoces. Les sillons en plein air donneront des asperges plus tardives. «Je ne me lasserai jamais de l’asperge, clame l’agriculteur. A la maison, on aime la manger toute simple, accompagnée de mayonnaise et de jambon. Il y a toujours la même émotion à découvrir les premières. Je les offre toujours, les premières. Pour faire plaisir. Cette année, les premières, juste assez pour une salade comme on dit ici, je les ai cueillies le 25 février.»

25.04.2019 - Saillon - Le Gault Milau producteur d'asperages.

Entre les mains de Maurice Dussex, une griffe d’asperge. Plantée, elle mettra 5 ans à donner une récolte entière.

Une histoire de famille. Maurice Dussex a de la chance: son fils Gabriel ainsi que sa fille Anne et son beau-fils vont continuer et développer ce que le père avait entrepris. «Je suis à la retraite, mais je fais toujours de l’asperge, raconte Maurice Dussex. Mon exploitation s’est agrandie, pour former trois entités: Dussex Maraîcher, Domaine Dussex vin et Manor Dussex-Binggeli, du nom de mon beau-fils qui fournit les magasins Manor de Sion, Sierre et Monthey et réalise aussi des paniers de légumes qu’on envoie par la poste partout en Suisse romande.» Les légumes se vendent aussi directement sur l’exploitation, où un automate permet ainsi de se payer une botte d’asperges même lorsque l’envie est nocturne. Enfin, s’il en reste: on se les arrache! Derrière le magasin, caisses vertes et mains habiles, on trie sur une machine les asperges récoltées le matin. Chaque asperge est analysée en fonction de sa taille, de son diamètre et de sa qualité. Autre machine, celle utilisée pour l’épluchage. Les asperges, elles, continuent d’être cueillies à la main, par la quinzaine d’employés agricoles.

25.04.2019 - Saillon - Le Gault Milau producteur d'asperages.

Quand une asperge blanche sort de son sillon, elle bronze avec des teintes mauves rosées, avant de devenir verte.

Une histoire d’excellence. Les asperges, c’est un peu le légume roi. Egyptiens, Romains et Grecs l’appréciaient déjà. Mais c’est Louis XIV qui en devient totalement gaga: fan absolu de l’asperge, il force Jean de La Quintinie, agronome responsable des jardins royaux, à recouvrir les cultures de cloches de verre afin de voir pousser son légume préféré toute l’année. Aujourd’hui, les asperges de Maurice Dussex sont d’autant plus savoureuses qu’elles sont rares. Avec une saison de cinquante à soixante jours, il faut la savourer sans attendre. Dès mi-juin, il sera trop tard. Les chefs étoilés le savent. Dans la grange des Dussex, une photo de Franck Giovannini atteste que les tiges succulentes se dégustent notamment à l’Hôtel de Ville de Crissier. A table!

25.04.2019 - Saillon - Le Gault Milau producteur d'asperages.

La machine à trier les asperges est un petit bijou, utilisée en alternance par 5 cinq agriculteurs.

25.04.2019 - Saillon - Le Gault Milau producteur d'asperages.

Les asperges sont enfin prêtes à être vendues!

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Fête de l’asperge

Samedi 4 mai 2019 de 10h00 à 18h00, à Saillon, Place Farinet.

 

Maurice Dussex

Rue des Vorgiers 90

1913 Saillon/VS

079 560 11 44

www.panierdussex.ch