Boissons d'alchimiste. Le terme est intriguant. Un tantinet magique. «Sobrelier», c’est le néologisme créé en 2022 par Benoît D’Onofrio. Contraction des mots sobriété et sommelier, il désigne la fonction, nouvelle, de ce passeur et créateur de boissons dénuées d’alcool. Ouvrir son esprit en même temps que ses papilles… C’est en fin de compte ce à quoi nous invite ce sommelier atypique, qui a voulu élargir son champ des possibles.

 

Breuvages sauvages. Des possibles qu’il viendra faire découvrir à deux occasions. Au Reffetorio de Genève d’abord, où il accompagnera le menu de ce restaurant solidaire lors d’une soirée, le 12 septembre. Puis auprès de professionnels genevois puis lausannois, lors de deux masterclass programmées par Sustineo, spécialiste de la formation en gastronomie durable. Se familiariser avec les boissons durables, en créer de nouvelles à base de méthodes simples comme la fermentation, apprendre à les accorder avec des mets… Avec ce module Wild Drinks, le Français vient apporter un regard nouveau sur la sommellerie.

Benoit d'Onofrio

Pour créer ses «sobrevages», Benoît D'Onofrio utilise différents assemblages de végétaux entiers, «de la racine au pistil, de l’écorce au pépin, de la feuille à la pulpe».

Benoit D'onofrio

Acidité, amertume, fruit... le sobrelier expérimente toute la palette des propriétés organoleptiques de ses ingrédients.

De la cave à la table. Sommelier autodidacte, Benoît D’Onofrio est entré dans les boissons par… la cave. Quand, étudiant en philosophie puis en école d’art, ce musicien et auteur, compositeur et interprète, a décroché un petit job de caviste à la Closerie des Lilas, brasserie emblématique du VIe arrondissement parisien, il s’est d'abord occupé de manutention. A la faveur de ses pauses, ce curieux lit et apprend. Un intérêt que remarque alors le sommelier du lieu, qui se propose de lui enseigner le métier. Il enrichit ainsi sa connaissance du vin, mais aussi d’un large éventail de possibilités, avec ou sans alcool. Devenu fin dégustateur, explorateur de beaux flacons, et notamment de vins naturels, ce pianiste a ensuite fait ses gammes dans de belles Maisons. 

Sobriété et plaisir. En 2022, c’est un tournant. Pour répondre à la demande d’une cliente désireuse de se passer d’alcool, et alors que lui-même s’interrogeait sur son rapport à l’alcool devenu «problématique», ce créatif est parti en quête de son graal: des néoboissons à même d'offrir la sobriété dans le plaisir. Et vice-versa: «Je me suis rendu compte que les propositions que je faisais, même si elles me semblaient satisfaisantes à l'époque où je pouvais encore boire de l'alcool, ne l'étaient plus quand j'ai arrêté de boire. En tant que dégustateur avisé, en tant qu'amoureux d'expériences gustatives, je ne trouvais pas satisfaction à boire les sodas artisanaux, les cafés de spécialité et les thés que je proposais avant.» 

Benoit D'onofrio

«Comme un Origan»: Benoît D'Onofrio multiplie les références musicales et cinématographiques pour nommer ses breuvages.

Benoit D'onofrio

Le «Berry Christmas Mr.Lawrence» mêle mandarine Satsuma, betterave, graine de mélilot, bourgeon de cassis et poivre noir Neelamundi.

Inédits élixirs. Ce déclic l'a conduit à réinventer son métier. De sommelier, il est devenu sobrelier. De simple passeur de boissons, il est devenu inventeur de «sobrevages». D’accompagnant, il est devenu acteur de la cuisine, créant l’harmonie parfaite lors de «sobrepas», où solides et liquides jouent les accords majeurs. Un champ lexical poétique, pour un métier perçu comme une petite révolution du tire-bouchon: «Un sobrelier, c’est un meilleur sommelier. Ce néologisme renvoie aussi à l’idée que la sobriété, ce n'est pas l'abstinence.»
 

Benoît D'Onofrio

Sobrelier mais aussi sommelier, Benoît D'Onofrio ne délaisse pas complètement les boissons alcoolisées.

Sobrevage Benoît d'Onofrio

Pour ce «Cerise Seems to be The Hardest Word», le sobrelier a travaillé la griotte de Montmorency, l'aurone et le souci officinal.

Expériences gastronomiques. Ses breuvages aux noms poétiques empruntent à la nature. Ils sont le fruit de récolte de végétaux travaillés dans leur ensemble, à la bonne saison. Issus de fermentation naturelle et spontanée, comme des extractions douces d’arômes et de textures, ils ne recourent qu’à des levures et des sucres endogènes, et à des filtrations par gravité, non-mécaniques. Au Dali, le restaurant d’Alain Ducasse au Meurice à Paris, ses sobrevages ont longtemps été à la carte. Au Perchoir, à Ménilmontant, ou au Chalet des Iles à Vincennes, il a accompagné la cuisine végétale de la très prometteuse Manon Fleury.

 

Automne nippon. Après avoir tenu boutique, à la Sobrellerie, avec ses créations aux noms aussi inspirés que ses recettes, Benoit D’Onofrio donne désormais à goûter ses boissons en sobrelier invité. Jusqu’à la fin de l’année, il officiera par exemple chez Ogata, restaurant japonais gastronomique à Paris. En rupture ou en harmonie avec ces délicatesses nippones, dans le fruité, l’amer ou l’acide, il fera, à sa manière, encore tourner les têtes. Tout en sobriété.

 

Photos: Eric Garault / Pascoandco pour Télérama, Mickael Bandassak, Benoît D'Onofrio.