Adieu, gibier. Curieuse histoire que celle rapportée ce jeudi par nos confrères du «Quotidien Jurassien». Indigné de voir du gibier menacé en Suisse au menu de la Maison Wenger (18/20) au Noirmont (JU), un étudiant genevois a écrit au chef Jérémy Desbraux pour lui signifier son mécontentement. Le cuisinier de l'année lui a répondu en lui annonçant qu'il retirerait le gibier en question dès l'année prochaine.

Héritage de Benoît Violier, avec qui il a travaillé à Crissier: Jérémy Desbraux sait très bien cuisiner le gibier.
Une chasse illégitime? Les animaux en question sont des gibiers à plumes, le lagopède (ou grouse, une espèce menacée en Suisse, grande photo en haut) et la bécasse des bois («potentiellement menacée»). Il n'y a rien d'illégal à les chasser, rappelle le journal dans son article ingénieusement titré «Rayés de la carte»: l'affaire porte plutôt sur une question de légitimité. Le chef Desbraux, après avoir échangé avec cet étudiant, «s'est engagé à ne plus servir ces espèces sur sa carte à partir de l'année prochaine», ajoute l'article.
Précision importante. Ces deux volatiles servis au Noirmont ne proviennent pas de Suisse, mais de l'étranger. Or en Europe, en France ou en Ecosse par exemple, le lagopède et la bécasse des bois, sont chassés avec des quotas autrement plus élevés qu'en Suisse. Les voir figurer dans les assiettes n'était donc ni illégal, ni forcément illégitime, la chasse n'entraînant pas de menace pour ces populations au-delà de la frontière.
Vindicte populaire. «Au Royaume-Uni ou en France, où les populations de gibiers sont bien plus élevées, on peut en abattre des dizaines de milliers chaque année, ça n'a rien à voir avec la Suisse», justifie Jérémy Desbraux. Alors, pourquoi les supprimer du menu? Le chef répond avoir préféré jouer la prudence pour ne pas s'exposer à la vindicte populaire. Mais il ne jette pas l'éponge pour autant: «Nous allons prendre le temps de vérifier toutes les données. Si la chasse menace effectivement ces espèces d'extinction, alors je cesserai de les cuisiner». Et si la chasse ne menace pas les espèces là où il s'approvisionne, alors il se réserve le droit de les garder au menu, comprend-on entre les lignes.
Recul d'une tradition culinaire. D'un point de vue gastronomique, il serait dommage de voir une si belle adresse, l'une des rares à apprêter ces gibiers avec soin et respect des règles, renoncer à de tels produits traditionnels. Et ce d'autant que la demande est forte pour ces animaux, rappelle le chef au «Quotidien Jurassien». Autrement dit, les bêtes ignorées par la Maison Wenger seront de toute façon achetées par d'autres enseignes, pas forcément aussi respectueuses. L'affaire fait réfléchir Jérémy Desbraux: «Ce n'est pas la première fois que des clients soulèvent des problèmes par rapport au gibier. La société évolue. On sert de moins en moins de menus chasse chaque année», regrette-t-il. Or il y a des problèmes beaucoup plus importants, estime le chef, citant les viandes du Brésil ou d'Argentine, produites dans des conditions socio-environnementales douteuses. «Des produits qu'on trouve dans bon nombre de restaurants suisses», déplore Jérémy Desbraux.
Photos: Caroline Legg CC / Digitale Massarbeit

