Texte: Daniel Böniger | Photos: Samuel Müllerr
De génération en génération. Le chef étoilé Pierrot Ayer est une âme fidèle. Depuis des années, il achète les vins, la viande ou les légumes pour son restaurant Le Pérolles (16/20) à Fribourg, toujours chez les mêmes producteurs. «Il faut connaître ses racines», répète-t-il comme un mantra. Le chef entretient une relation de confiance particulière avec le fromager Benoît Kolly, qui produit au Mouret, à quelques kilomètres de là, un splendide gruyère et un vacherin fribourgeois. Détail amusant, «la mère de Benoît allait à l’école avec mon père !», raconte Pierrot Ayer. Voilà un lien qui dépasse les générations – et qui perdurera sans doute lorsque Ayer transmettra, le 1er février, sa cuisine à son successeur Victor Moriez.
Kilomètre zéro. Nous retrouvons logiquement Pierrot Ayer à 9 heures dans ladite fromagerie. Chaque jour, jusqu’à 20'000 litres de lait régional y sont transformés. Et la production de fromage bat son plein à notre arrivée. L’air est humide. Dans deux immenses cuves en cuivre, le lait frais, enrichi de présure, est maintenu au chaud. Ce lait est collecté deux fois par jour, 365 jours par an, dans les fermes voisines. «Selon le cahier des charges du gruyère, les paysans doivent se situer à moins de 20 kilomètres – chez moi, ils sont à cinq kilomètres au maximum», explique le robuste Benoît Kolly.

Benoît Kolly montre le caillé. Pour le gruyère, il est relativement fin.

Lorsque le vacherin est correctement affiné, il développe sa croûte caractéristique.
Mille détails. Au Mouret, la fromagerie du village existe depuis 44 ans. C’est une entreprise familiale, dont la deuxième génération emploie aujourd’hui 20 personnes à plein temps (soit 30 collaborateurs au total). Benoît Kolly plonge la main dans une cuve de cuivre et montre les morceaux de caillé de la taille d’un grain de blé, qui deviendront, au plus tôt dans cinq mois, de solides meules de gruyère affinées. «Pour le vacherin, nous coupons la pâte beaucoup plus grossièrement, de sorte que les morceaux soient gros comme des noix.» Ce n’est là qu’un des «mille détails qui donnent sa signature à un fromage». La température, le temps ou la quantité de sel modifient aussi le produit final, explique le fromager. Lui, en tout cas, reconnaît ses fromages à l’aveugle lors d’une dégustation.

Benoît Kolly montre comment il fait tremper son fromage pendant plusieurs heures dans une saumure.

Mille détails donnent sa signature unique au gruyère de Benoît Kolly.

Sur le chariot à fromages de Pierrot Ayer, cinq gruyères et du vacherin fribourgeois de trois producteurs.
Ammoniac et magie. Pierrot Ayer et Benoît Kolly jettent un œil à la tomme fraiche fabriquée plus tôt dans la journée, un fromage qui évoque des souvenirs d'enfance au chef. Puis les deux hommes traversent le parking. Dans la maison voisine, l’odeur est bien plus forte. C’est ici que les meules pressées trempent jusqu’à 24 heures dans une saumure, avant d’être entreposées pendant plusieurs mois sur des planches en bois à environ 15 degrés. «Ce que l’on sent, c’est l’ammoniac.» La halle, où les fromages sont empilés jusqu’à six mètres de haut, a quelque chose de sacré. Même Pierrot Ayer reste toujours impressionné par cette atmosphère, bien qu’il y soit déjà venu plusieurs fois.

Le lait utilisé dans la fromagerie du Mouret provient d’au maximum cinq kilomètres à la ronde.

Un paradis pour tout amateur de fromage: la boutique de la fromagerie du Mouret.
Un chariot, 50 fromages. Mais que fait un chef à 16 points avec du fromage? Un cordon bleu, peut-être? La question es typiquement alémanique, car pour les Romands, le fromage ne se discute pas. «Dans notre menu gastronomique, le plateau de fromages a toujours eu sa place», dit Ayer. Et il n’a pas remarqué de baisse de la demande. Sur son chariot à fromages – garni de plus de 50 variétés – se trouvent en général cinq gruyères de différents degrés d’affinage, et du vacherin fribourgeois de trois producteurs différents. Et Pierrot Ayer est un grand amateur de fondue – peut-être bientôt au Pérolles?

La fondue, c’est toujours une bonne idée pour Benoît Kolly et Pierrot Ayer – même juste avant le service du midi.
Fondus de fromage. La fondue moitié-moitié ne doit pas être trop chauffée. Une bonne demi-heure plus tard, Kolly et Ayer se tiennent dans la cuisine du Pérolles. Devant eux, un caquelon contenant un mélange de 49% de vacherin fribourgeois, 49% de gruyère et 2% de fécule, chauffé avec un peu de vin blanc. «Le mélange de la fameuse moitié-moitié ne doit en aucun cas atteindre 100 degrés», précise Benoît Kolly. Pendant ce temps, Pierrot Ayer sert un verre de vin blanc. Inutile de chercher de l'ail ou du povre ici. «C’est le goût du fromage qui compte», affirme Pierrot Ayer. Ils plongent gaiement morceau après morceau de pain dans le pot. Benoît Kolly évoque alors sa jeunesse: «Le samedi, nous mangions de la fondue chaque semaine. Et le dimanche soir, c’était raclette.» Souvent, les voisins ou des amis passaient à l’improviste – «il y en avait toujours assez.» Et s’il n’y avait pas les clients du déjeuner qui allaient bientôt arriver au Pérolles, le chef étoilé et son fromager préféré feraient sans doute fondre une seconde portion, la savoureraient – et continueraient à échanger des histoires.
