Réouverture en fanfare. L'hiver dernier, nous l'avions intégré à notre Top 10 des chefs à suivre en 2025. En cette fin de printemps, Mariano Buda prouve une fois de plus que sa cuisine vaut le voyage. Chef du restaurant Au 1465 (17/20) à l'hôtel Au Club Alpin à Champex-Lac (VS), le jeune homme de 27 ans vient en effet de rouvrir les portes du restaurant qu'il mène depuis décembre 2022, après une courte pause saisonnière. Son menu estival, comprenant notamment un éminent filet de bœuf en net feuilletage, aux blettes, pistache et tagète, reflète une délicatesse et une technique admirables. Une cuisine poétique que l'originaire des Abruzzes a souhaité dès son plus jeune âge.
Le Club Alpin, élégant et intimiste hôtel situé dans le mignon village de Champex-Lac, dans la région du Grand Entremont.
Un «sketch». Depuis son village natal au bord de la mer Adriatique, Mariano Buda se passionne très tôt pour la cuisine. Pour se former, il passe trois mois dans une pizzeria à Genève. «Moi qui ai grandi dans celle de mes parents, ce que j’ai vu là-bas, c’était un vrai sketch!» C’est ce déclic qui lui donne envie d’aller plus loin: «Je me suis dit que je voulais faire de la vraie bonne cuisine.» À 16 ans, il s'en va alors au Mirazur de Mauro Colagreco (18/20 et 2 étoiles à l'époque, Menton). Quatorze heures de travail par jour dans des conditions difficiles, mais l'adolescent reste tout de même deux ans, apprend des bases avant d'intégrer une école hôtelière. Puis, au Domaine de Manville, aux Baux-de-Provence, la quête acharnée de l'étoile par le chef Mathieu Dupuis le poussera dans ses retranchements. Et lors d'un repas d'équipe chez Régis et Jacques Marcon à Saint-Bonnet-le-Froid (19/20, 3 étoiles), c'est la révélation.
Feuilleté thym-citron, brioche tomate-olive, pain aux farines du Grand Entremont, tuiles au basilic, beurre d'alpage, huile texturée au romarin, huile d'olive pure: le service du pain, ce n'est pas rien au Club Alpin!
«Je réfléchis mes plats avec souvent une protéine, un végétal et une herbe», explique le chef. Ici, l'artichaut, la sauce à la féra fumée et les condiments.
«Je ne suis pas de ces chefs qui écrivent des idées de plats tous les jours et qui réfléchissent constamment à cela. Deux jours avant la date limite, je me pose une heure et je sors vingt-cinq plats.» Ici, la perche aux écrevisses, tomate et verveine.
Un nouvel univers. «J’ai tout de suite su que je voulais travailler chez les Marcon», confie Mariano Buda. Il découvre alors en Jacques Marcon un chef humble, acharné de travail, toujours en quête d’excellence. «Je me souviens que lorsque j’étais aux sauces, il y en avait entre 15 et 20 différentes, les chefs me demandaient constamment de les ajuster, de les adapter à leur vision du jour. Et chaque jour, c’était une nouvelle finition!»
«Jouer avec la matière.» C'est là que le jeune homme apprend à «jouer avec la matière», à remettre en question ses techniques et à s'adapter à chaque ingrédient. «Les tomates ne sont jamais tout à fait identiques, certaines ont plus d'eau que d'autres, par exemple, et il faut changer la manière de les travailler afin d'obtenir le résultat voulu. Le travail d'un cuisinier, c'est de s'adapter à la nature.» C'est pour cela qu'aujourd'hui, Mariano Buda n'a que très peu de recettes dans sa cuisine.
La lumineuse salle du restaurant Au 1465, au Club Alpin (ici avant le changement de tables). Mariano Buda gère la table gastronomique, mais aussi les petits-déjeuners et la carte snack pour l'après-midi.
Le covid chez Damien Germanier. La dernière étape pour Mariano Buda avant de s'établir à Champex-Lac, a été les deux années passées chez Damien Germanier, à Sion. Arrivé un mois avant les fermetures dues au covid, il a tout de même pu rester et épauler le chef dans tous les concepts qu'il lançait. «Damien m'a appris à transformer des produits locaux et il m'a initié à la chasse, du dépeçage des bêtes à la cuisine. Autant dire qu'à Champex, dans un cadre de montagne, de forêt, de chasse, je profite bien de ce savoir-faire.»
L'âge, un problème? À Sion, Mariano Buda comprend aussi que tenir son restaurant en tant qu'indépendant est extrêmement difficile. Il part alors en quête de soutien. Mais beaucoup s’arrêtent à son âge, 25 ans à l’époque, et refusent de le suivre. Seule la famille Thétaz, propriétaire du Club Alpin, est passée outre ce chiffre pour se laisser emporter par le talent du jeune homme, et l'a engagé au départ des chefs Maël Gross et Christophe Genetti, en novembre 2022.
En arrivant à Champex-Lac, Mariano Buda a appris à gérer une équipe. Un travail «plus difficile qu'il n'en a l'air», relève-t-il. Ici, le bœuf en croûte, pistache, tagète et blettes.
Il y a toujours deux menus végétariens au Club Alpin, car il tient à cœur du chef de faire profiter tout le monde. «Les végétariens aussi, ont fait la route jusqu'ici et paient leur menu. Ils doivent avoir un repas d'aussi haute qualité.» Ici, le dessert à la pêche, thym et vanille.
«Un premier semestre en deçà des objectifs» ««J’ai eu du mal à trouver une équipe prête à me suivre dans cette exigence de haute gastronomie, raconte Mariano Buda. Il a fallu plusieurs mois de travail acharné pour atteindre le niveau qu’il jugeait digne d’être présenté.» Puis, à l'automne 2023, c'est la consécration lorsqu'il décroche 16 points GaultMillau et une étoile Michelin. «J'avais besoin de ces récompenses afin d'asseoir ma légitimité, de me faire connaitre pour mon travail, de montrer que ce que je faisais n'était pas qu'un simple caprice de jeune. Cette étape m'a permis d'aller encore plus loin.» Pour preuve, le passage à 17/20 dès l'année suivante. Ambitieux, l'homme l'est assurément. Et s'il assume «vouloir les choses rapidement», il a appris à ne pas se précipiter.
Fin novembre 2022, Mariano Buda ouvrait le 1465 pour sa première place de chef. «À la fin du premier service, j'étais dévasté. Les clients ne se sont rendus compte de rien, mais rien n'allait comme je le voulais!»
Une vision claire. «Pour atteindre mes objectifs, certaines adaptations dans le restaurant étaient inévitables, petit à petit, explique le chef. Nous avons engagé une boulangère qui s'occupe du service du pain, mais aussi des viennoiseries pour le petit-déjeuner. La salle accueille aussi moins de convives, mais chacun a une vue sur le lac et le mobilier a été changé pour une expérience plus confortable.» Tout cela reste au service de la cuisine du chef, qui valse sur ces tables nappées entre technique italo-française (ah, ces tortellinis d'esturgeon aux légumes et agastache), ingrédients suisses et plantes sauvages.
19/20 et 3 étoiles. On poursuit le menu avec bonheur, par cette composition de perches aux écrevisses et verveine. Le sabayon à l'écrevisse est d'une intensité folle, tandis que le gel de vinaigre de tomate relève le tout. L'artichaut, lui, se veut être une revisite d'une tradition de sa terre natale. La sauce bagna cauda est revisitée à la féra fumée plutôt qu'à l'anchois, et se confond dans l'artichaut aux multiples textures, vivant, léger, frais. Du haut de ses 27 ans, Mariano Buda prouve avec maîtrise et élégance tout le talent et le travail qui le caractérisent. Et à 40 ans, où se voit-il? «Si je n'ai pas décroché dix-neuf points et trois étoiles, c'est qu'il y aura eu un problème.»
Le restaurant Au 1465 à l'hôtel Au Club Alpin à Champex-Lac
Photos: Christophe Voisin, Sedrik Nemeth, Siméon Calame, DR