Comme un singe. «Il est important de savoir rire comme un singe, mais tout autant de savoir quand s’arrêter, afin de jauger le niveau de sérieux demandé et d’avancer de manière réfléchie», lâche en souriant Luis Zuzarte, chef de L’Appart à Lausanne (16/20). A 34 ans, il vient de décrocher un seizième point au GaultMillau et une étoile verte au Michelin. Et tranche avec l’image sérieuse et figée que l’on peut se faire d’un professionnel de son niveau. Pourtant, tout est carré dans la cuisine de cet enfant de Penthalaz (VD), né à Bâle de parents lusitano-alémaniques. (Grande photo ci-dessus: Le chef Luis Zuzarte et la betterave marinée au géranium, tartare de crevettes suisses, bouillon de chicorée.)

 

«On a passé une étape». Pour Luis Zuzarte, «il a toujours été clair que ce que l’on propose à L’Appart se trouve dans les critères de ces deux distinctions. Les recevoir nous fait toutefois passer une étape. On entre maintenant dans le vrai challenge.» Et l’ancien apprenti du Beau-Rivage Palace d’assumer une peur, celle de devoir s’adapter un peu trop aux exigences de la haute gastronomie: «Je ne veux pas que mon équipe passe quinze heures par jour au travail uniquement parce qu’il faudrait décrocher 17 points ou une étoile Michelin. Si les guides nous suivent, ils s’adapteront à notre cuisine, pas l’inverse.»

 

Salaires, horaires, féminité. «Selon moi, cette étoile verte félicite indirectement des aspects autres que la cuisine, notamment la valorisation salariale des employés, l’adaptation des horaires aux attentes actuelles, ou encore certains postes à responsabilités confiées à des femmes.» C’est avec son équipe qu’il a d’ailleurs organisé les soirées gastronomiques à la Ferme de Bassenges durant le mois d’août. «On l’a fait ensemble, dans une idée commune de tester des choses et de changer du quotidien, sourit-il. Cet esprit d’équipe et cette confiance commune, c’est l’une des choses qui me motive tous les jours. Je suis fier d’avoir regroupé des gens qui vivent dans la même dynamique.»

Luis Zuzarte

Ravioles et jus végétal, confit d’agrumes et amandes et feuilles d’huître.

Luis Zuzarte

Topinambours lacto-fermentés, poutargue, jaune d’œuf, caviar suisse et crème de menthe.

Un associé indissociable. Dans son discours, Luis Zuzarte accorde aussi une grande importance à son acolyte Nicolas «Nico» Bernier. Rencontré lors de l’ouverture de la Brasserie de Montbenon à Lausanne, le directeur de salle «a créé un lieu intimiste, complet et harmonieux qu’il gère à merveille, ce qui me permet de me concentrer sur la cuisine». La clé du succès, veut croire Luis Zuzarte, c'est d'avoir mis sur pied un restaurant où ils voulaient tous deux autant manger que travailler.

 

Pleurs et quenelles. Il a beau avoir le sourire aujourd'hui, les choses avaient commencé dans les larmes pour Luis Zuzarte. Agé de 15 ans, apprenti au Beau-Rivage Palace à Lausanne, il touche à tout: brasserie, lounge, room-service, banquets… Mais en parallèle, les cours hebdomadaires à l’école le mettent à mal. «Je pleurais assez souvent, je ne captais pas ce que je devais faire, ce qu’on me demandait, se souvient-il avec du recul. C’était dur, mais j’ai eu la chance de terminer ma formation lorsqu’Anne-Sophie Pic est arrivée au palace. J’ai ainsi pu intégrer sa brigade et apprendre énormément, tout en passant des soirées entières chez moi à essayer de faire des quenelles parfaites (rires). Un lieu de grande exigence.»

Horizontal Agnolottis farcis à la truffe L'Appart Lausanne Luis Zuzarte

Agnolottis farcis à la truffe.

De Paris à Lausanne. Après des expériences à Stockholm et à Bristol, Luis Zuzarte est arrivé à Paris chez feu Taku Sekine, au restaurant Dersou, dans les cuisines duquel il a «capté ce que ça signifie de cuisiner pour des gens, la richesse que cela apporte.» Le chef n’hésitait pas à changer de menu le matin même selon l’arrivage. Le Lausannois n'en perd pas une miette et essaie de faire sienne cette philosophiemais ce n'est qu'une fois revenu en Suisse qu'il s'est véritablement mué en cuisinier. «Avec Felipe Raupp de Jajaffe et Philippe Heim de Céleste, nous avons repris le Café des Philosophes, et c’est là que j’ai vécu mon adolescence de chef de cuisine, se souvient-il. La fête, la joie, la créativité à tout-va, on a tout fait!» Une phase «nécessaire» avant celle de la maturité, venue peu après, lors de son passage comme second de Nicolas Darnauguilhem à la Pinte des Mossettes.

 

Freiner la créativité? Depuis, Luis Zuzarte s’est davantage assagi. Il assure avoir du freiner une créativité sans limite: «Je me souviens d’un jour où on avait reçu le matin même de l’agneau et du chou-fleur. Ça m’avait donné des idées et j’ai changé le menu en fonction! C’est grisant d’avoir cette liberté, mais tu remarques vite qu’il faut un minimum de cadre pour avancer de manière cohérente, mais aussi pour que l’équipe te suive.» Le chef a alors changé son fusil d'épaule se tient désormais à un programme. Ce qui, selon lui, permet paradoxalement de s’extirper plus rapidement du quotidien et de faire évoluer sa créativité. Rire comme un singe et savoir s’arrêter, donc.

 

Restaurant L'Appart à Lausanne


Abonnez-vous à la newsletter de GaultMillau, chaque dimanche à 9 heures.
Tentez en avant-première de gagner des dîners, et découvrez nos meilleures adresses.

Je suis

Photos: Gabriel Monnet, DR