Texte: David Schnapp

Marco Campanella, vous avez été «Cuisinier de l’année» jusqu’en octobre 2025. Quel regard portez-vous sur cette période?
Ce fut une phase très intense et magnifique, avec une hausse du chiffre d’affaires de 42%. Le restaurant affichait presque toujours complet, avec de nombreux clients curieux qui faisaient le déplacement à Arosa ou à Ascona spécialement pour cela. Cette distinction a été une reconnaissance pour toute l’équipe, une confirmation aussi, qui me donne encore aujourd’hui des frissons.

 

Ce titre et la note montée à 19 points vous ont-ils changé?
Non, je suis resté le même Marco. Après le service, je donne toujours un coup de main pour nettoyer la cuisine et il m’arrive encore de frotter le sol à genoux. Et honnêtement, d’autres chefs auraient tout autant mérité ce titre. Il ne faut pas se transformer avec le succès, c’est ce que mes parents m’ont appris. Quand ils ont ouvert leur restaurant à l’époque, il a fallu longtemps avant que la réussite arrive. Dans un petit village au bord du lac de Constance, personne n’attendait un restaurant italien et ils ont parfois été à deux doigts d’abandonner. Voir tout ce qu’ils ont sacrifié m’a profondément marqué. L’essentiel, c’est de savoir apprécier ce que l’on a. Et l’arrogance ne passe jamais bien: aucun client n’aime un chef prétentieux.

Koch des Jahres Guide GaultMillau 2025 - 19er Bild -

«J’en ai encore la chair de poule aujourd’hui»: l’équipe de Marco Campanella célèbre le titre de «Cuisinier de l’année» à l’automne 2024, à Ascona.

Après une telle distinction, l’euphorie est forte et l’équipe très motivée. Comment maintenir cette énergie une fois l’effervescence retombée?
Les attentes des clients restent élevées, quoi qu’il arrive. Cette année, j’ai réécrit le menu cinq ou six fois pour éviter toute routine. Je suis aussi convaincu que c’est motivant lorsque le chef s’implique partout, au lieu d’être rivé à son téléphone ou enfermé dans son bureau. Ma philosophie, c’est le leadership par l’exemple. Et les petites attentions comptent: j’invite l’équipe à manger ou à boire une coupe de champagne, et chacun a reçu de ma part un beau couteau en remerciement pour l’année écoulée.

 

Vous êtes récemment allé en Chine, et le Japon comme la Corée du Sud figuraient aussi sur votre liste. En quoi ces voyages influencent-ils votre cuisine?
On ramène toujours beaucoup de choses de ses voyages: des influences, des techniques, des astuces. En Corée du Sud, les produits fermentés m’ont beaucoup impressionné; en Chine, la diversité des poivres; au Japon, les différentes sauces soja. Voyager est indispensable pour progresser. Nous préparons par exemple désormais le sandre en le plongeant quatre minutes dans une huile à 100 degrés, aromatisée au kombu, au zeste de citron, au thym citronné et au poivre du Sichuan. J’ai vu cette technique chez un chef en Chine: elle rend le poisson d’une tendreté incroyable.

Marco Campanella Küche

Marco Campanella aux fourneaux, en pleine préparation des sauces.

  La Brezza Ascona

«Les attentes des clients restent toujours élevées»: le restaurant La Brezza à Ascona.

 

Êtes-vous facilement influencé par des saveurs exotiques?
J’aime associer des produits européens à des arômes asiatiques. Et parfois, je reviens à quelque chose de très classique: un col de porc de chez Luma, préparé à la moutarde et à la choucroute, dans un esprit très allemand. C’est un équilibre. Durant mon apprentissage, j’ai par exemple appris à faire moi-même les croûtons. Aujourd’hui, je les sers avec un consommé de queue de bœuf, mais aussi avec un raviolo façon shabu-shabu, comme on le fait au Japon ou en Chine.

 

Quel est le cœur de votre cuisine?
Ces dernières années, ma cuisine est devenue plus ouverte sur le monde et plus épurée. Les produits doivent rester lisibles. Les saveurs se sont intensifiées, j’ai ajouté un peu de piquant, davantage d’umami, parfois plus de chaleur ou de notes fumées.

Marco Campanella 2025: Lostallo Lachs

Nose to tail: saumon de Lostallo accompagné de céleri branche, pomme, aneth et coriandre.

 
Marco Campanella 2025: Kaisergranat

Inspiration chinoise: langoustine accompagnée d’une émulsion au citron et d’une «bisque de gochujang».

 

Vos employeurs, propriétaires des hôtels Eden Roc à Ascona et Tschuggen à Arosa, imposent certaines règles: un menu végétalien obligatoire, le foie gras interdit. Ces contraintes vous pèsent-elles?
Sans ces exigences, je ne serais pas le chef que je suis aujourd’hui. Le menu végétalien est extrêmement exigeant et devient même de plus en plus complexe, mais il m’a fait progresser. J’en suis reconnaissant. Même si ce n’est pas toujours simple, notamment lorsque les clients mélangent les deux menus et que le timing au dressage devient un vrai défi.

 

Comment réagissent les clients? Quels plats rencontrent le plus de succès et sur quoi êtes-vous critiqué?
Le plat de ravioli plaît énormément, car on en voit moins aujourd’hui dans la haute gastronomie. Les short ribs, que nous avons servis pendant deux ans, sont réclamés dès qu’ils disparaissent de la carte. Mais nous voulons justement offrir de la nouveauté, surtout à nos habitués. Je ne suis pas un chef qui veut imposer quoi que ce soit. Je cuisine pour faire plaisir. L’augmentation du piquant dans mes plats a été remarquée par beaucoup et suscite souvent des commentaires. Les critiques sont en général formulées avec bienveillance, en rappelant que tout est affaire de goût.

Eden Roc Ascona

Un chef, deux restaurants: le Swiss Deluxe Hotel Eden Roc à Ascona.

 
Ascona 2024: Marco Campanella: Shortrib, Wagyu

«Je cuisine pour faire plaisir aux clients»: le short rib, un classique de Campanella, préparé avec du bœuf wagyu.

 

Avez-vous des projets particuliers pour 2026, des tables que vous souhaitez absolument découvrir?
J’aimerais aller avec Silvio Germann au restaurant trois étoiles «Es:senz», au bord du lac de Chiemsee. J’ai aussi déjà pris contact avec Franck Giovannini. En février, nous irons avec quelques collègues et nos compagnes chez Frantzén, à Stockholm, une adresse que je rêve de découvrir depuis des années. Et en mars, je prévois un food tour en Algarve et au Portugal, le pays natal de ma femme Sara.

 

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Avec le soutien de sa fille Enola: pour la série «Semplicemento Marco», réalisée en collaboration avec Mercedes-Benz, Marco Campanella cuisine chez lui.

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Avec le soutien de sa fille Enola: pour la série «Semplicemento Marco», réalisée en collaboration avec Mercedes-Benz, Marco Campanella cuisine à la maison.

 

Marco Campanella (33 ans) est le plus jeune chef suisse à avoir obtenu 19 points. Depuis 2018, il est à la tête des deux restaurants La Brezza: en hiver au Tschuggen Hotel à Arosa, en été à l’Eden Roc à Ascona. Membre des Grandes Tables de Suisse, il est aussi ambassadeur de marque pour Mercedes-Benz Suisse et V-ZUG. Fils d’immigrés italiens, il a grandi en Allemagne, au bord du lac de Constance. Après son apprentissage dans une auberge et son installation en Suisse, il a travaillé notamment auprès de Martin Dalsass, Rolf Fliegauf et Andreas Caminada.

Photos: Thomas Buchwalder, Adrian Bretscher, Digitale Massarbeit, Handout