Texte: David Schnapp Photo: Marcus Gyger, Olivia Pulver, HO, Brian Leatart

Si vous rencontriez quelqu'un qui sort tout juste de douze mois de sommeil profond, comment lui résumeriez-vous votre année?

Je le prendrais à part et lui dirais: «Viens, buvons ensemble cette bouteille de vin, ensuite je te raconterai une histoire incroyable.»

 

Quelle histoire ?

C'est l'histoire de la capacité d'adaptation phénoménale dont les gens ont fait preuve cette année, jour après jour, dans tous les secteurs d'activité et domaines de la vie.

 

Votre restaurant est resté fermé durant plusieurs mois après le confinement. Comment l'ambitieux cuisinier que vous êtes a-t-il vécu cela?

Cela m'a rendu triste car je ne pouvais pas vivre ma passion. Au lieu de cela, j'allais quasiment un jour sur deux chez le commerçant en comestibles Alfred von Escher. Nous sommes voisins depuis quelque temps. Je lui rendais visite, nous discutions. Ensuite, je rentrais à la maison avec de l'agneau, des haricots secs ou du porc et cuisinais, par exemple, un cassoulet aux haricots secs ou un «porco tonnato». Mais ce qui m'a manqué, c'est mes gens, l'ambiance de la cuisine. En tout cas, nous avons fait régulièrement des apéros Zoom. C'était important pour l'équipe.

 

A quoi avez-vous utilisé votre temps? Avez-vous appris quelque chose, commencé un hobby?

J'ai emménagé avec ma compagne à Wollishofen, j'ai beaucoup lu, trié ma collection de musique et rédigé un concept pour un genre de spectacle musico-gastronomique à l'opéra.

 

Qu'écoutez-vous? Que lisez-vous ?

J'écoute de tout – rock, pop, classique – la musique est une source d'inspiration pour moi. Et j'ai lu les «Mémoires de guerre» du général de Gaulle. Ma grand-mère me les avaient offerts mais je n'avais jamais trouvé le temps de les lire. De Gaulle me fascine : sa manière de penser, d'écrire et ce qu'il a fait pour l'Europe.

Laurent Eperon - Samstag, 25. Januar 2020 - Copyright Olivia Pulver

Laurent Eperon dans la cuisine du «Pavillon».

Restaurant Pavillon Baur au Lac

Restaurant avec vue sur le lac: «Pavillon» au Swiss Deluxe Hotel Baur au Lac.

Pourquoi n'avez-vous pas perdu courage?

Parce que je suis fondamentalement confiant. Et parce que ma famille, mes amis et ma compagne me soutiennent. C'est important pour moi.

 

Y a-t-il eu des moments où vous étiez sur le point d'abandonner?

Il y a naturellement eu des hauts et des bas, mais abandonner, non. Je suis à la fois un battant et un chef d'orchestre.

 

Quel a été le meilleur plat que vous avez servi en 2020?

Le turbot «en papillotte», avec un beurre blanc aromatisé à l'eucalyptus de notre jardin, des petits morceaux d'esturgeon fumé, du caviar Oscietra belge et les petites nageoires de turbot.

 

Quel plat voulez-vous absolument cuisiner prochainement?

Je voudrais prendre un peu de distance avec les produits vraiment chers – moins de filet et de foie gras. A la place, je teste justement en ce moment un «short rib» en cuisson lente, mariné à la mélasse et aux cinq épices.

 

Le fait d’avoir plus de temps à disposition a-t-il stimulé votre créativité?

Au contraire: j'avais d'autres priorités que cuisiner telles que les finances ou garder l'équipe soudée. La situation dans son ensemble n'était pas particulièrement favorable à la créativité.

 

Durant cette année tumultueuse, quelle est l'expérience qui vous a fait progresser ou qui vous a marqué?

S'adapter rapidement à de nouvelles situations, l'indispensable flexibilité, voilà deux choses qui m'ont beaucoup apporté. Au Baur au Lac, par exemple, il n'y avait plus une équipe pour le Pavillon et une autre pour le Baur mais seulement une équipe de cuisine et de service. Tout le monde a dû tout faire. Une invitation à la souplesse, à l’intégration et à la collaboration. Soudain, le restaurant Pavillon est devenu une partie du grand tout.

Steinbutt Laurent Eperon

Turbot en papillote au beurre blanc d'eucalyptus.

Que dit la comptabilité à propos de l'année 2020 au restaurant Pavillon?

Pas de commentaire (rires)!

 

Quel est le plus beau compliment que vous avez reçu en 2020?

Lorsque nous avons rouvert, en octobre, la gratitude des clients était immense. Beaucoup d'entre eux m'ont aussi appelé personnellement pour me demander comment ça se passait. C'est précieux.

 

Durant ces derniers mois, qu'est-ce que vous n'avez pas pu faire et que vous voulez absolument rattraper dès que possible?

Je voudrais absolument voyager: au Vietnam, en Colombie et à Tel Aviv. C'était prévu pour 2020 et je veux rattraper le temps perdu. Et les accolades me manquent, ça manque à la société.

 

Chez qui voulez-vous absolument manger lorsqu'il sera de nouveau possible de voyager?

Chez Guy Savoy à Paris. J'ai fait sa connaissance à l'occasion de la réunion des Grandes Tables de Suisse l'été dernier à Fribourg. C'est un type formidable.

 

Dernièrement, les légumes se sont imposés pour beaucoup de grands cuisiniers. Qu'est-ce qui se prépare?

Le trend des légumes va se poursuivre car la question de la durabilité prend toujours plus d'importance. Les clients, mais aussi mes cuisiniers, sont devenus très sensibles à cet égard. Je vois une tendance «back to roots» et vers la «street food». Il y a deux ans j'ai par exemple rencontré en Thaïlande une cuisinière qui m'a montré comment préparer des rouleaux de printemps avec des feuilles de riz, accompagnés de sambal oelek maison. J'ai mis ce plat à la carte pendant un certain temps. En cuisine comme dans la mode, tout finit par revenir à un moment ou à un autre. Je pense que le moment est venu pour une cuisine classique plus simple.

Guy Savoy

«Super mec»: le chef parisien Guy Savoy, trois étoiles.

«La minute culture»

Le meilleur post Instagram vu par Eperon: J'aime le compte «La minute culture» où des tableaux classiques sont présentés avec des textes surprenants. Je trouve cela très divertissant.

Comment occupez-vous votre temps libre?

Je suis amateur d'art et membre du Kunsthaus de Zurich où je vais volontiers durant mon temps libre. Parfois, je me balade avec ma compagne dans la forêt tout simplement. Ou nous regardons un film au cinéma.

 

Qu'est-ce qu'il y a toujours dans votre frigo?

Il y a toujours du beurre et du fromage. J'aime le beurre. Et parfois j'ai juste besoin d'un morceau de fromage.

 

Qu'est-ce que vous ne mangez jamais, par principe?

Je n'achète jamais rien hors saison. Des asperges blanches, des fraises ou des framboises en hiver me rendent fou.

 

Et que mangez-vous quotidiennement?

Du chocolat sous toutes ses formes: en tablette, en chocolat chaud à la maison ou des boules Lindor. Lorsqu'on est triste, le chocolat aide à retrouver sa bonne humeur.

 

Quel est le meilleur post Instagram que vous avez vu cette année?

J'aime le compte «La minute culture» où des tableaux classiques sont présentés avec des textes surprenants. Je trouve cela très divertissant.