Les chefs à la chasse. «Ce matin, j’alternais entre réjouissance de découvrir ce monde que je ne connais pas, et légère appréhension de ce que je pourrais y voir», admettait Elodie Schenk, cheffe du restaurant le Tourbillon à Plan-les-Ouates (GE). Mais celle qui s’est classée troisième au dernier Cuisinier d’Or était décidément heureuse de la matinée de novembre qu’elle avait passée dans la montagne du Vuache, en France voisine. C’est en compagnie d’une quinzaine de chefs romands (on y a aperçu, entre autres, Francesca Fucci, Léo Besnard et Alessandro Cannata) et d’une vingtaine de chasseurs de la région qu’elle a découvert concrètement la chasse, lors d’une journée organisée par Johann Favre, l’un des Meilleurs ouvriers de France… Primeurs. (Photo ci-dessus: de g. à d. Johann Favre, Michel Roth et David Devel, lors de la première édition en 2022)
L’envers du décor. Directeur de Brasier Primeurs et fournisseur des plus belles tables de la région, Johann Favre a initié ces journées il y a trois ans. «La forêt, ses champignons et ses herbes sauvages, c’est mon univers, lance-t-il. Je chasse depuis quelques années, et c’est en me baladant en forêt avec Damien Fol, un ami chasseur, que j’ai eu envie de lier ces deux mondes. Les restaurateurs travaillent du gibier chaque automne, mais très peu ont eu l’occasion de vivre l’envers du décor, en pleine nature. Cela leur permet de comprendre ce qu’est vraiment cette activité.» Le rendez-vous était donné à 7h15 à Savigny, afin de former des binômes chasseur-chef. Après avoir enfilé un gilet orange fluo et religieusement écouté les règles de sécurité, direction la forêt, chacun à son poste, avec ou sans chiens. Pour Elodie Schenk, ce fut «un beau moment malgré la pluie, empli d’échanges constructifs». Après la chasse, place à un repas convivial dans la cabane des chasseurs. L’occasion de comprendre plus en détail cette passion.

Le pâté-croûte de Romain Pellet a fait des heureux.

Les chiens arrivent les premiers en haut du Vuache.
Du temps en nature. Autour de deux grandes tables en bois, à mesure que les binômes reviennent, bredouilles et les bottes encore humides, les conversations reprennent avec entrain. «La chasse, pour moi, c’est une manière de passer du temps en nature, d’ouvrir mes sens et de déconnecter», confiait un chasseur d'une quarantaine d'années. Son collègue ajoute: «Une minorité de chasseurs fait n’importe quoi et salit l’image de cette activité, mais c’est pareil dans tous les métiers. Nous ne sommes pas des tueurs sanguinaires!» À cela s’ajoute la question de la régulation, lancée par un chef. «Dans notre région, les renards et les sangliers pullulent, répond un chasseur expérimenté. Des comptages sont réalisés chaque année afin de déterminer des quotas de chasse. Les réguler permet ainsi d’éviter les atteintes à l’environnement et aux cultures, réduire les risques d’accidents routiers et limiter la transmission de maladies.»
Une première pour Carcenat. Arrive alors le sublime pâté-croûte de Romain Pellet, l’un des Meilleurs ouvriers de France charcutier-traiteur, installé à Genève. La cinquantaine de bons-vivants assis dans la cabane l'ont vite englouti. En face de nous, à table, Christophe Lavorel (second de Danny Khezzar au Bayview) et Benoît Carcenat échangent d’abord sur la matinée de chasse - une première pour les deux cuisiniers -, puis se racontent des anecdotes de voyages, interrompus de temps à autre par des chasseurs curieux d'en savoir davantage sur eux.

La team France flambe les crêpes Suzette au Grand Marnier, tandis que la team Suisse préfère la liqueur de poire.
Crêpes Suzette parfaites. Pour la suite du menu, Johann Favre a fait confiance au chef du Lyrique, le Lausannois Andrea Polcino. Son risotto à la milanaise répondait avec simplicité et gourmandise au jarret de bœuf de la Boucherie d’Onex, la moëlle étant glissée dans le riz. Avant que n’entre en scène Léo Besnard, chef du Lion d’Or à Cologny, pour servir deux poêles géantes de crêpes Suzette «franco-suisses»: l'une était flambée au Grand-Marnier, l’autre à la liqueur de poire moitié-moitié. Ce dimanche à la chasse, il n’y a pas eu de gibier tiré, mais un vrai beau moment de partage célébré.
Photos: Siméon Calame, DR

