Un deuxième chef en cuisine? L'intelligence artificielle (IA) pense-t-elle remplacer un jour les chefs de cuisine? «Je peux te conseiller, créer des recettes, t’aider à calculer les coûts ou structurer un menu, mais je ne peux ni cuisiner, ni goûter, ni diriger une brigade. Moi, je suis un outil sans mains, sans palais et sans présence.» La réponse de ChatGPT est claire et précise, et met en lumière certaines limites - naturelles - de l'IA quant à la chose culinaire. Quand bien même, elle passe allègrement les portes des cuisines professionnelles.
(Grande image ci-dessus: illustration)

Recette barbecue vegan Luciole La Chaux-de-Fonds Danny Baker

Pour Danny Baker, chef à Luciole à La Chaux-de-Fonds, l'authenticité d'un établissement gastronomique passera toujours par les mains et la tête de ceux qui en transmettent l'âme.

 

Pour moins gaspiller? Une des utilisations très actuelles de l'IA en restauration est la diminution du gaspillage alimentaire - principalement dans la restauration collective qui brasse un grand nombre de repas et donc, de données. Depuis 2022, l'Ecole polytechinque fédérale de Lausanne (EPFL) analyse les 1,5 million de repas servis annuellement dans la trentaine de restaurants sur le site du bord du Léman. Chaque assiette est filmée par une poubelle intelligente qui pèse et définit les restes, grâce à un processus d'apprentissage automatique (machine learning, en anglais) nourri de millions d'images d'aliments. Cela permet de comprendre lesquels sont le plus jetés, d'adapter petit à petit les quantités et, in fine, réduire le gaspillage alimentaire. Résultat: de 50 g de restes par assiette en 2019, l'EPFL est passée à 22 g en 2022 (56% de moins), et souhaite faire passer ce chiffre à 7 g - soit 86% de moins.

 

Pour être plus rentable? En analysant d'autres données que les restes alimentaires (prévision météo pour adapter les plannings du personnel en conséquence, choix des périodes de fermeture selon les mouvements de la clientèle…), l'IA permet aux restaurants - notamment en régions touristiques - de mieux anticiper les besoins, réduire leur gaspillage et ainsi optimiser leur rentabilité.

Joeffrey Fraiche Helena Collaud Pont de Brent titre

Patron du Pont de Brent avec sa compagne Helena Collaud, Joeffrey Fraiche a essayé l'IA pour créer des plats, sans jamais être convaincu.

Pour gagner du temps? Augmenter la rentabilité, cela passe évidemment aussi par l'optimisation du temps. Patronne avec son compagnon et chef Danny Baker, du restaurant Luciole à La Chaux-de-Fonds, Gabi Dubuis est «partisane de ces outils dès lors que ça peut nous faire gagner du temps sur des tâches répétitives ou longues. Danny tient toutefois à s'occuper lui-même des coûts de ses menus (rires). Mais l'outil principal d'IA chez nous, c'est notre système de réservation qui crée des résumés hebdomadaires des avis clients. Des prix trop hauts, un plat trop piquant, l'ambiance sonore décalée? Cela permet de recevoir l'essence même de ces retours et ensuite, d'adapter selon ces derniers.» Pour le couple, ces outils sont des aides d'organisation et de structure de travail, mais ne remplaceront pas le travail humain.

Laura Maillard Nautilus Ceramics Martigny Luciole

Chez Luciole, Gabi Dubuis assume: «Pour un petit établissement comme le nôtre, dans lequel nous ne travaillons qu'à deux, il est crucial de trouver des moyens de gagner du temps.»

Pour ouvrir son restaurant? Un exemple très concret est la création d'un restaurant. Car avant de penser à des données météo, de gaspillage ou de retours clients, il faut commencer à zéro. Et pour certains chefs, il est vital d'utiliser l'IA lors de la conception de leur projet: structuration d'un business plan, création d'un budget, écriture de demandes de devis et autres documents administratifs… Mais certainement pas dans la conception des menus, signature d'une identité culinaire. Rappelez-vous: «Je suis un outil sans mains et sans palais», assumait l'outil d'OpenAI.

 

Et pour créer des menus? Et pourquoi les chefs ne s'aideraient-ils pas d'une IA générative pour imaginer leurs menus? «Aujourd'hui, je ne vois pas d'utilité à utiliser une quelconque IA pour m'aider en cuisine, explique Joeffrey Fraiche, chef au Pont de Brent. Tout existe déjà depuis des années sur internet ou dans des livres, simplement.» Danny Baker donne le même son de cloche: «Qu'est-ce qui fait l'unicité d'un restaurant gastronomique? C'est l'univers d'un chef, d'une équipe. Ainsi, en se ruant sur une IA, on perd selon moi la typicité d'un lieu, sa cohérence. La créativité passera toujours par les mains et le vécu d'un humain.» L'intelligence «artificielle» porte donc bien son nom.