Texte: Stephan Thomas I Photos: Nik Hunger
EN ATTENDANT LES ASPERGES DE REICHENAU. Un menu d'asperges au printemps ? Rien d'extraordinaire. Un menu avec les asperges et le vin du château, concocté par une cheffe ayant obtenu 17 points? C'est déjà nettement plus exclusif. D'autant plus que, jusqu'à la dernière minute personne ne savait si ce repas spécial prévu au château de Reichenau pourrait vraiment avoir lieu. «Avec les conditions météorologiques défavorables de ce printemps, les asperges ont baissé la tête» explique Gian-Battista von Tscharner, notre hôte grison et propriétaire du domaine. «Nous avons presque pensé qu'elles poussaient à l'envers». Mais tout est bien qui finit bien et les asperges de Reichenau étaient prêtes à l'arrivée des invités. Le «plan B», un dîner avec des asperges badoises, a pu être abandonné. (Grande photo ci-dessus: la mousse d'asperges accordée à un Jeninser pinot gris).
RÉCOLTE AU COUTEAU DE CUISINE. Les asperges de Reichenau ne sont pas tout à fait comme les autres. En effet, les Von Tscharner ne les cultivent pas comme c'est l'habitude dans des buttes de terre, mais les font pousser sur un sol plat, recouvertes de film plastique noir. Pour les récolter, un simple couteau de cuisine suffit. Leur apparence, elle aussi, est inhabituelle. Elles sont blanches, mais la forme de leur tête ressemble plutôt à celle des asperges vertes. «Les asperges de Reichenau sont particulières. Elles se distinguent de celles de Diepoldsau, que j'utilise généralement. Il faut les cuire nettement moins longtemps. On peut même les manger crues», affirme Silvia Manser, la cheffe du Truube (17/20) de Gais. Elle s'est occupée de l'aspect culinaire de notre événement, aidée par son mari Thomas et l'équipe de cuisine. «Je me réjouis toujours beaucoup de l'arrivée des asperges car elles sont les messagères du printemps. C'est un légume fin et doux», assure cette membre des Jeunes Restaurateurs.
La cheffe Silvia Manser (17/20) en pleine action.
De gauche à droite: Johann-Baptista von Tscharner, Silvia Manser, Francesca von Tscharner, Gian-Battista von Tscharner, Thomas Manser.
Filet de veau et raviole, asperges, carotte, oignon nouveau.
OLD BUT GOLD. L'autre protagoniste de la soirée, c'était la famille von Tscharner, représentée par Gian-Battista, Johann-Baptista et Francesca. Bien entendu, seuls les vins du château ont été servis ce soir-là. Concrètement, du Jeninser pinot gris 2022 avec la mousse d'asperges, morilles, saumon cerise et cresson. Le sauvignon blanc «Goldrush» avec la sandre suisse, des petits pois, des asperges et du citron vert au kaffir. Et un «Churer Spotläs» pour le dessert, de la rhubarbe pochée, des asperges, du chocolat blanc et des pistaches. Le plat principal était accompagné, lui aussi, d'un vin des Tscharner, le Jeninser Blauburgunder «Mariafeld», dans deux millésimes, 2011 et 2018, qui ont sublimé la création de Silvia Manser, un filet de veau avec un raviolo, asperges, carottes et oignons nouveaux. Les von Tscharner ont toujours défendu les millésimes anciens. Ce n'est pas pour rien qu'ils sont des membres très actifs de l'association «Mémoire des Vins Suisses», qui archive les vins suisses des domaines les plus renommés.
«NOUS SOMMES TROP TYPÉS». Ce genre de soirée ne sert pas seulement à se faire plaisir, mais aussi à se former. Les von Tscharner pourraient parler de vin pendant des heures. Gian-Battista est d'ailleurs aussi inimitable que ses vins. «Nous ne pourrons plus jamais participer à des concours, nous n'avons aucune chance avec nos bouteilles. Nous sommes trop typés». Mais aussi: «Plus il est bas, meilleur est le pinot noir. C'est là qu'on voit son caractère. Ce qui ne s'applique pas seulement à la vigne.» Ses saillies ne se limitent d'ailleurs pas à sa production. Les qualités d'animateur de Gian Battista sont en effet légendaires. Un petit exemple: «Pourquoi trinque-t-on avec du vin? In vino veritas, la vérité est dans le vin. Et qui refuserait de trinquer avec la vérité?».
