Propos recueillis par Siméon Calame | Photos: Sedrik Nemeth

La seule femme «Rookie» 2024. Cinq ans après avoir rejoint son père Willy dans les vignes de Satigny au domaine de La Devinière, Camille Cretegny fait partie des cinq «Rookies de l’année» GaultMillau 2024. À 34 ans, cette vigneronne est nouvelle dans le vignoble helvétique et genevois. Car, avant de parcourir les 13,5 hectares du domaine familial, Camille a longuement arpenté les couloirs de l’université, puis du barreau genevois comme avocate puis juriste à la Cour de justice genevoise. C’est en 2018 qu’elle se lance dans le vin au sein du domaine familial, avant d’en prendre les rênes en 2022. Interview de cette jeune et souriante vigneronne, qui garde toujours un mi-temps en tant que juriste à la Cour de justice de Genève.
(Grande photo ci-dessus: Camille Cretegny dans ses vignes)

 

Camille Cretegny, pourquoi une avocate devient-elle viticultrice?

Je suis née en 1988, au moment où mon père s’est lancé comme vigneron indépendant. J’ai grandi avec le domaine et j’ai toujours travaillé avec mon père, lors des vendanges, des marchés, des salons… Petite, je savais qu’un jour, je serai vigneronne! Mais j’aimais la technicité du droit, alors j’ai décidé de poursuivre. J’ai ainsi pu épauler mon papa lors de ses combats politiques. Puis, lorsqu’il a été question pour lui de remettre son domaine, c’était une évidence pour moi: je l’ai rejoint et je me suis formée.

Camille Cretegny Domaine de La Devinière

Camille Cretegny sera présente les 3 et 4 novembre prochains au salon Divines, présentant uniquement des vigneronnes, à Rolle.

Camille Cretegny Domaine de La Devinière

Au Domaine de la Devinière, tout est possible, même de commander des bouteilles au format nabuchodonosor (15 litres)!

Vous faites partie de la nouvelle garde des vignerons suisses. Pour les jeunes, le bio semble être la nouvelle norme, non?

Oui! Nous sommes certainement plus sensibles aux questions de durabilité et de gestion des ressources que nos aînés. Beaucoup d’entre-nous adoptent le label bio, d’autres non, mais une majorité font des essais, cherchent, adaptent leurs cultures. Nous avons la chance qu’une partie de nos prédécesseurs ait déjà mis des choses en place et nous pouvons donc aller plus loin avec les connaissances d’aujourd’hui. Mon père Willy est un pionnier de la viticulture bio qu’il a commencé en 1984. Il a bâti le domaine de la Devinière selon ces normes biologiques et obtenu le label bio suisse en 1995: une chance! Il était donc naturel pour moi de poursuivre la culture bio.

 

Vous pouvez vous appuyer sur le travail de votre père, mais le bio est-il accessible à tous les producteurs?

Complètement. Beaucoup d’écoles dispensent des formations et des professionnels donnent des conseils. Cela devient aussi plus facile car nous avons de plus en plus de connaissances relatives à nos sols. Le bio est certes accessible à tout le monde, mais il demande beaucoup de travail.

 

Quels sont les grands défis de la culture biologique?

J’ai l’impression que mon père les a relevés et que c’est rodé (rires). Mais, même si beaucoup de choses sont sous contrôle, le changement climatique a de plus en plus d’incidences sur le raisin. Les moûts sont toujours plus chauds, donc plus sucrés et plus alcoolisés. De plus, l’azote essentiel à la culture de la vigne vient à manquer. Culture biologique oblige, nous n’ajoutons rien de chimique à la vigne. Nous devons donc réfléchir sérieusement aux cépages que nous plantons pour les prochaines décennies et privilégier les cépages résistants.

Camille Cretegny Domaine de La Devinière

Camille Cretegny est l'une des cinq «Rookies de l'année». Avec elle sont honorés Gianmarco Ofner (ZH), Adrien Stevens (TI), Clément Luisier (VS) et Michel Reynolds (VD).

Dans dix ans, tous les vignerons travailleront-ils en culture biologique?

Oh, il y aura toujours des résistants, mais je pense qu’une grande majorité aura franchi le cap, oui. Pour plusieurs raisons, en particulier l’éducation de toutes et tous à ce mode de culture, et les nouvelles réglementations en matière de produits de synthèse.

 

Vous utilisez depuis longtemps des bouteilles consignées. Vos clients vous suivent-ils?

Oui! Nous avons toujours lavé nos bouteilles dans notre propriété à Satigny. Nous le faisons pour nous, mais aussi pour des collègues vignerons et quelques brasseurs. La consigne est de cinquante centimes seulement et les consommatrices et consommateurs jouent le jeu. Cela crée même un phénomène de fidélisation et d’économie circulaire en responsabilisant le consommateur sur le rôle qu’il joue dans la réutilisation. De plus, peu de gens rapportent des bouteilles sans en acheter de nouvelles.

 

Une culture biologique donne-t-elle un goût différent au vin?

Absolument pas. Les vinifications et autres travaux de cave sont «les mêmes». La seule différence que nos clients nous font remarquer, c’est que nos crus donnent moins mal à la tête que certains vins conventionnels (rires).

 

Le prix d’un vin bio est-il plus élevé que celui d’un cru conventionnel?

Le travail est certes plus important en culture biologique, mais j’avoue n’avoir jamais comparé précisément. Je ne pense pas que la différence soit significative. Quoi qu’il en soit, nous privilégierons toujours le travail de l’homme à celui de la machine, même si la mécanisation permettait de réduire les coûts.

Camille Cretegny Domaine de La Devinière

À Genève, le Domaine de la Devinière est présent toutes les semaines au marché des Grottes les jeudis soir, à celui de Plainpalais les vendredis matin et à celui de Rive les samedis matin.

Vous cultivez 18 cépages différents sur 13,5 hectares, pour un total de 16 vins. N’est-ce pas un peu beaucoup?

C’est une caractéristique du vignoble genevois! Tous les cépages sont différents et ils apportent chacun quelque chose à notre gamme de vins. D’ailleurs, la majorité des clients savent quels vins et cépages ils apprécient ou non, ils ne sont ainsi pas trop perdus.

 

Parmi ces 16, quel est votre préféré?

C’est une question difficile! En blanc, je dirais l’aligoté pour sa minéralité, sa vivacité et sa floralité. En rouge, le «Devin», un assemblage gamaret-garanoir-diolinoir élevé en barrique et en foudre de chêne.

 

De quels autres vins suisses êtes-vous adepte?

J’aime particulièrement ceux de Reynald Parmelin au Domaine de la Capitaine, à Gland. Et lorsque mon compagnon et moi allons faire une randonnée en Valais, nous ne ratons aucune occasion d’y ouvrir une bouteille de la Famille Rouvinez. Ce qui est certain, c’est la qualité et la diversité incroyables des vins suisses, avec derrière chacun de ces vins des hommes et des femmes passionnés.

 

Pour manger, où vous rendez-vous?

À Genève, je cours au Restaurant du Creux de Genthod, à Genthod. En ville, le Café du Grütli est bien sûr un incontournable, parmi tant d’autres. Hors du canton, je n’ai pas de table précise, car j’aime découvrir à chaque fois de nouvelles adresses. Je ne peux que saluer également le travail formidable des restaurateurs suisses.

Plus de bio dans le verre! 

Un vignoble vivant planté de vignes vigoureuses autant que résistantes: voilà un excellent pré-requis pour élaborer des vins «Bourgeon». En Suisse, ils sont d'ores et déjà plus de 580 viticulteurs et viticultrices à produire des vins bio. Ils renoncent aux produits phytosanitaires chimiques de synthèse et aux engrais artificiels. Ces viticulteurs de haut niveau jouent la carte du bio et de la biodynamie avec succès.

>> www.biosuisse.ch