Texte: Daniel Böniger Photos: Samuel Müller

Mannequin ou vigneron? Sans ces mains marquées par le travail en plein air, on pourrait presque prendre Christian Vessaz pour un modèle photo. Avec malice, le vigneron pose dans les vignes du Cru de l’Hôpital. Puis, un instant plus tard, le voilà dans la salle de dégustation, bouteille, tire-bouchon et verres en main. Sourire aux lèvres, il se tient aussi dans la cave, entre cuves en acier, fûts de chêne et œufs en béton. De quoi entrer directement dans le vif du sujet: pourquoi recourir à autant de méthodes d’élevage différentes? «Je suis un vigneron curieux, j’aime expérimenter», explique le quadragénaire. Sa dernière acquisition en date en témoigne: un contenant en verre transparent baptisé Wineglobe, qui permet de vinifier raisins et moût de manière encore plus douce et plus «pure».

 

Prêle et moutons. Sur le plan de la durabilité aussi, le vigneron du lac de Morat avance à grands pas. Dès 2013, il a converti l’ensemble du domaine, soit 13 hectares, à la biodynamie. Avec fierté, il montre les préparations végétales utilisées dans les vignes. La prêle sert à lutter contre l’oïdium, tandis que la bouse de corne stimule la vie microbienne des sols. Et, entre les ceps, 26 moutons paissent, broutent l’herbe et assurent une fertilisation naturelle.

Weinkeller, Beton-Ei

Au Cru de l’Hôpital, on travaille avec des œufs en béton...

wineglobe

... des Wineglobes pour des vins particulièrement épurés...

Weinfässer

... ainsi que des barriques classiques pour les rouges.

Une demande quasi inexistante. La suite logique pour Christian Vessaz? La production de vins nature, qu’il a entamée en 2018 en étroite collaboration avec Anne-Claire Schott. Des cuvées sans fongicides, non filtrées et avec un apport minimal de soufre à la mise en bouteille. Le problème, constate-t-il, c’est que la demande frôle le néant. Résultat: pour le millésime 2025, il renonce à nouveau entièrement à en produire. Certes, un ou deux restaurants se sont montrés intéressés, tout comme Smith & Smith, son principal client en Suisse alémanique, mais l’intérêt global est resté trop faible.

 

Des vins nature souvent défectueux. Comment expliquer ce manque d’enthousiasme pour des cuvées produites avec autant de rigueur? Selon Christian Vessaz, les amateurs de vin de longue date ont un profil gustatif bien ancré et recherchent avant tout ce qu’ils connaissent. Or, les vins nature peuvent surprendre par des arômes inattendus. «Le changement viendra sans doute des jeunes consommateurs.» Il pointe aussi un autre écueil: la réputation encore médiocre des vins nature. «Nous ne vendons pas des vins défectueux sous l’étiquette «nature». Mais, malheureusement, cela arrive trop souvent ailleurs.»

Christian Vessaz

Christian Vessaz finira-t-il par miser sur les vins nature?

Pinot Noir de Pavy 2023

Les pinots noirs du domaine traduisent avec finesse la diversité des terroirs du lac de Morat.

 

Bümpliz plutôt que Shanghai. Face à cette situation, l’œnologue mise sur d’autres leviers pour renforcer la durabilité de sa production. Il a notamment renoncé à l’exportation. «Si j’ai le choix entre livrer mes vins à Bümpliz ou à Shanghai, je choisis Bümpliz.» Il limite aussi l’usage du plastique dans les emballages et privilégie des bouteilles composées à 20% de verre recyclé. À ses yeux, ces critères pèseront de plus en plus dans les décisions d’achat. Si le Cru de l’Hôpital existe depuis plus de 500 ans, c’est précisément parce que ce type de réflexion visionnaire a toujours fait partie de son ADN. La prochaine étape est déjà envisagée: se passer totalement de cuivre dans les vignes. Il en a fait l’essai avec une cuvée baptisée Wyn Nature, assemblage de chasselas, traminer et pinot gris. «Grâce à ce vin, je sais désormais que c’est possible», résume-t-il.

Christian Vessaz

«Nous ne vendons pas des vins défectueux sous prétexte qu’ils sont nature.»

 

Retour aux méthodes ancestrales. Verra-t-on un jour la viticulture conventionnelle disparaître? À cette question de fond, Christian Vessaz répond en prenant de la hauteur. Le vin et le pain appartiennent à la tradition judéo-chrétienne et portent une dimension culturelle essentielle. Le pain, regrette-t-il, est aujourd’hui majoritairement produit de manière industrielle. C’est là, selon lui, une chance pour le vin, qui peut ainsi préserver une culture millénaire. «Dans ce contexte, les vins nature ont leur rôle à jouer, puisqu’ils sont vinifiés selon des méthodes ancestrales.» Beaucoup de pratiques actuelles en viticulture ne remontent d’ailleurs pas à plus de cinquante ans. Il cite la macération, autrefois courante pour le chasselas en Suisse, mais aujourd’hui largement abandonnée. À l’époque où les vignerons partageaient un pressoir au sein du village, les temps d’attente rendaient cette pratique incontournable.

 

Une clé de plus au trousseau. Après une dégustation des vins du Cru de l’Hôpital, dont les pinots noirs et les chasselas séduisent par leur droiture et leur expression du terroir, la discussion revient une dernière fois sur les vins nature. Christian Vessaz n’est-il pas frustré de ne pas leur trouver de débouchés? «Non, j’ai déjà bien assez à faire avec les autres cuvées.» Aucune amertume? Aucune. Et peu à peu, on comprend qu’au fond de lui, il reste convaincu que le moment des vins nature viendra. Comme il le dit lui-même: «J’ai simplement ajouté une clé de plus à mon trousseau pour faire du bon vin.» Le jour où elle sera utile, il saura s’en servir.

 

Domaine Cru de l'Hôpital

Plus de bio dans le verre! 

Un vignoble vivant planté de vignes vigoureuses autant que résistantes: voilà un excellent pré-requis pour élaborer des vins «Bourgeon». En Suisse, ils sont d'ores et déjà plus de 580 viticulteurs et viticultrices à produire des vins bio. Ils renoncent aux produits phytosanitaires chimiques de synthèse et aux engrais artificiels. Ces viticulteurs de haut niveau jouent la carte du bio et de la biodynamie avec succès.

www.biosuisse.ch