Texte: Daniel Böniger
Vous produisez actuellement le meilleur fromage du monde. Quel est votre secret?
Beaucoup de temps, de passion et de dévouement. Et des producteurs qui livrent un lait irréprochable. Rien de plus.
Avez-vous apporté une attention particulière au choix de la meule qui a devancé près de 5000 concurrentes venues de 45 pays?
Nous l’avons regoûtée et trouvée excellente. Mais pour être honnête, nous n’avions pas un choix immense: nous ne mettons de côté qu’une ou deux meules par mois pour ce «gruyère Spécial» affiné plus de 18 mois. J’espère que la demande va bientôt se calmer. Nos réserves sont limitées.
Quelle est l’importance du lait dans la qualité d’un fromage?
Pour le dire simplement: même avec un très bon lait, on peut fabriquer un mauvais fromage.
L’affinage a-t-il été décisif pour la meule gagnante?
Elle avait 23 mois. Il faut maintenir en permanence la bonne humidité et la bonne température. On doit aussi retourner régulièrement les meules et les frotter à la saumure. J’ai calculé que j’avais sorti la meule gagnante de son étagère et l’avais retournée plus de 200 fois. Cela demande un certain idéalisme: financièrement, c’est difficilement rentable.
Le cahier des charges AOP du gruyère est long et très strict. Un fromager peut-il vraiment y laisser sa signature?
Sur un gruyère jeune, les différences entre producteurs restent ténues. Mais elles s’affirment avec l’âge. Ici, dans le Gantrisch, les pâturages sont vallonnés, les vaches sortent et leur alimentation diffère de celle, par exemple, du Jura. Tout cela se ressent dans le fromage. Notre fromagerie vend ainsi des gruyères issus de neuf ateliers différents: les connaisseurs perçoivent très bien les nuances, surtout sur les fromages plus affinés.
On trouve même du gruyère produit à Zoug…
… et dans les cantons de Lucerne ou de Soleure. Ce sont des exploitations dites satellites, qui fabriquaient déjà du gruyère avant la création de l’interprofession. Elles ont gardé ce droit.

Le gruyère de Pius Hitz s'est imposé face à quelque 5000 autres fromages lors des World Cheese Awards.
Deux des trois fromages sur le podium des World Cheese Awards étaient suisses. Le fait que le concours se tienne à Berne a-t-il aidé?
Le jury était international, donc je ne pense pas. Peut-être que les produits goûtés en amont par les jurés jouent un rôle? Quand les 14 finalistes ont été annoncés, les six premiers provenaient tous de l’étranger. J’ai eu un moment de doute. Les fromages suisses n’ont été révélés qu’à la fin.
Le troisième fromage du concours était un appenzeller. Qu’en pensez-vous?
J’aime beaucoup l’appenzeller, mais plutôt jeune. Une version affinée plus de 18 mois, comme le gruyère gagnant, serait trop puissante pour moi. Je préfère le «Classic» ou la nouvelle variété douce, l’«Appenzellerin».
Et les fromages d’Angleterre, de France ou des États-Unis?
À Berne, j’ai goûté des choses formidables. Il existe d’excellents fromages sur tous les continents. Nous ne sommes pas les seuls à maîtriser cet artisanat, même si des Suisses expatriés contribuaient souvent à diffuser ce savoir-faire.
Quel impact le titre a-t-il eu sur votre fromagerie?
Nous recevons énormément de mails et de demandes. Le fromage champion n’est d’ailleurs plus vendu qu’au sein d’un assortiment «cheesy». Et beaucoup de gens débarquent en voiture en pensant trouver une boutique. En réalité, nous ne sommes présents que le matin. L’après-midi, c’est en libre-service, avec un frigo et une petite caisse.

Au final, le super jury international a dû choisir parmi 14 variétés de fromages.

Au final, c'est Pius Hitz, originaire de Vorderfultigen dans le canton de Berne, qui a remporté la coupe.
Et pour les commandes envoyées à l’étranger?
Je dois refuser avec tact. C’est trop compliqué et extrêmement coûteux, sans compter les formulaires douaniers interminables. Idéalement, je redirige vers des revendeurs spécialisés à l’étranger qui proposent nos fromages.
Comment aimez-vous consommer votre fromage?
Le matin, avec un café au lait, je préfère un fromage doux sur une tartine beurrée. Le soir, avec des fromages plus affinés, un verre de vin ou une bière convient très bien. Ce sont des plaisirs que je réserve plutôt à des moments particuliers.
Et la fondue?
Bien sûr! Fondue et raclette figurent chez moi au menu au moins une fois par semaine. Nous produisons aussi notre propre mélange à fondue et un fromage à raclette. Notre champion du monde n’est pas le seul à être excellent!
La fromagerie Bergkäserei Vorderfultigen à Berne
Photos: Monika Flückiger, HO
