Émotion et tristesse. C’est avec émotion et tristesse que j’ai appris aujourd’hui le décès de Michel Guérard. L’approche avant-gardiste de ce cuisinier précurseur (3 étoiles, 19.5/20) me faisait rêver depuis mes 25 ans. D’abord en lisant le GaultMillau, bien sûr. Puis en dévorant des yeux un magazine révélant l’incroyable raffinement du lieu qu’il a créé à Eugénie-les-Bains (France). Alors pour nos 50 ans, avec mon épouse, on s’est dit qu’il était temps d’y aller, c’était il y a 11 ans… l’homme avait déjà 83 ans. Et laissez-moi vous dire que notre passage dans le Sud-Ouest restera à jamais gravé dans nos mémoires d’épicuriens. Ce Monsieur était un magicien!

 

Un décor de film. Eugénie-les-Bains: le nom, à lui seul, évoque la dentelle et la violette, les fleurs et l’heure du thé. Mais les Prés-d’Eugénie, l’hôtel unique créé par Michel Guérard et son épouse Christine Barthelemy dépasse toutes les attentes. C’est un vrai décor de film, ode à ce que la France à de plus exquis à offrir. Je me souviens d’une roseraie magique, de fontaines et de jets d’eaux, d’une collection de meubles somptueux et d’un accueil d’une courtoise presque irréelle. Sans parler des chambres, superbes, mais sans la moindre concession au luxe à l’américaine. Quant à la cuisine, elle nous laisse un souvenir de véritable aboutissement.

 

Un jeune homme de 83 ans. Le chef, nous l’avons rencontré avant de passer à table. Alors que nous prenions l’apéritif, assis sous un portrait signé Winterhalter, il est apparu, alerte, passant de table en table: «Vous êtes lié au GaultMillau, en Suisse» m’a-t-il spontanément demandé, sourire en coin, à moi qui étais là en vacances et qui ai pour habitude de ne pas m’annoncer. Mais à l’évidence, Michel Guérard ne laissait rien au hasard, dans la vie pas plus qu’en cuisine. Le regard vif comme Charles Trenet, le verbe direct et complice, la passion perceptible dans chacun de ses mouvements, il nous a aimablement parlé de Suisse et de cuisine, avant de retourner aux fourneaux. À 83 ans!

 

Pertinence, pureté et volupté. Le premier soir, notre repas s’est décliné en une cascade de divines bouchées intégrant les meilleurs produits et les plus fins apprêts: je me souviens notamment d’une sole presque irréelle, d’une fantaisie de légumes à vous faire chavirer et d’un soufflé de conte de fée. Dès lors, qu’allait-il pouvoir nous proposer le lendemain soir? Le chef est lui-même venu s’enquérir de nos envies. Et c’est un nouveau feu d’artifice culinaire qui nous a été servi dans un cadre d’une rare élégance. Le soufflé, nous le lui en avons demandé une deuxième fois. À quoi était-il, ce soufflé? Ma mémoire flanche. En revanche, je n’oublierai jamais ce séjour à Eugénie-les-Bains. Et je souhaite à la grande gastronomie française de se souvenir longtemps de la pertinence, de la pureté et de la volupté des créations de Michel Guérard.