Texte: GaultMillau Suisse

Vous êtes responsable du guide en Suisse romande. Mais est-ce que vous testez vous-même des tables?

Bien entendu! Entre janvier et juin, je passe deux à trois soirs par semaine au restaurant, un peu partout en Suisse romande.

 

Et vous n’en avez pas marre?

Si je me lassais, il faudrait urgemment que je change de métier! Mais il n’y a pas de danger, j’adore le restaurant. C’est presque une addiction.

 

Combien de fois mangez-vous au restaurant chaque année?

Si l’on compte les vacances et les repas pris hors guide, je dirais environ 130 fois par an. 

 

Vous y allez seul?

Presque jamais. Un repas, ça se partage. Et quand on est deux, on peut goûter plus de plats.

 

Et à part vous, qui sont les testeurs?

J’aime les qualifier de collectionneurs de bonnes tables. Ce sont tous des passionnés, éclairés, qui aiment le restaurant, qui connaissent la cuisine et qui ont l’esprit ouvert sur la restauration au-delà des frontières helvétiques.

 

Combien sont-ils?

Il y en a vingt-cinq, dont 30% sont des femmes. Mais ils ne sont pas collaborateurs à plein temps. Ils proviennent de divers horizons, certains ont des formations dans le domaine des métiers de bouche, mais ils sont publicitaires, banquiers, pâtissier, avocats, journalistes, graphistes… Tous disposent du savoir et de l’intégrité nécessaires à ce job.

 

Comment les recrutez-vous?

Certains se portent candidats, mais c’est le plus souvent moi qui détecte des profils adéquats. Ils doivent être connaisseurs sans pour autant être liés au monde de la restauration, pour des raisons évidentes d’objectivité.

Knut Schwander Esteban Valle Grégory Halgand Ilario Colombo Zefinetti

Knut Schwander lors de la conférence de presse du guide 2024. À côté de lui: Esteban Valle «Hôte de l'année», Grégory Halgand «Découverte de l'année» et Ilario Colombo Zefinetti «Promu de l'année».

Et quand vous allez au restaurant, vous annoncez que c’est pour le GaultMillau?

Jamais. D’ailleurs, je suis le seul à véritablement pouvoir être repéré, puisque mon nom et ma photo figurent sur le site et dans le guide: après 25 ans, difficile de passer inaperçu… Mais ça arrive finalement assez souvent. Les autres ont l’interdiction de se faire connaître.

 

Et ça ne pose pas de problème d’être connu et reconnu?

Je ne pense pas. Je mange comme n’importe quel autre client et je commande ce qui figure à la carte. Je doute qu’une brigade fasse soudain autre chose que ce qu’elle sait faire, simplement parce que je suis là. C’est pour ça que je réserve sous mon nom: après tout, je ne suis pas le vengeur masqué!

 

Est-ce que vous payez l’addition?

C’est une condition absolue: nous ne publions aucun texte sans disposer de la facture du restaurant qui s’y rapporte. Nous ne pouvons pas nous permettre de laisser planer le moindre doute: chaque restaurant est visité chaque année.

 

Une visite par an, est-ce assez? Et si vous tombez un jour sans… 

Dès l’instant où le chef facture sa prestation, on peut partir du principe qu’il est lui-même satisfait de son travail. On peut donc le juger. C’est le contrat entre le restaurateur et son client.

 

Avec la démultiplication des blogs et des sites d’évaluation, le guide a-t-il encore une raison d’exister?

Plus que jamais. La vocation d’un guide, c’est de révéler les meilleures adresses, avec bienveillance, mais sans complaisance. Notre vocation, c’est la recherche de talents. C’est une démarche journalistique, indépendante, financée par un éditeur historique et fiable. On ne peut pas en dire autant d’une majorité de publications dont on ne connaît pas les motivations, souvent commerciales.

 

Enfin, au rythme où vous allez au restaurant, comment faites-vous pour garder la ligne?

Je marche, je nage et, régulièrement, je m’adonne au jeûne intermittent. Cela dit, j’adore manger. Le soir, quand je ne vais pas au restaurant, je cuisine ou je me régale des excellents plats de mon épouse. Mais, même si certains repas de cinq ou sept plats accompagnés de vin sont riches, j’ai la chance de m’attabler la plupart du temps dans de bonnes maisons… Celles qui sont dans le guide. Or la bonne cuisine, équilibrée, fraîche et sans additifs, ça ne fait pas grossir.

 

Photos: Julie de Tribolet, Adrian Bretscher, Gabriel Monnet