L'importance de la vaisselle. Que seraient les plus beaux plats de Stéphane Décotterd, Danny Khezzar ou encore Maël Gross et Christophe Genetti, s'ils étaient dressés sur de simples assiettes plates, lisses et blanches? Toujours aussi bons, assurément. Mais esthétiquement, ils n'auraient plus rien à voir. Et si vous vous rendez régulièrement dans des tables gastronomiques, vous remarquerez que les grands chefs portent une attention de plus en plus grande à leur vaisselle. «Nous avons à cœur d'appliquer nos valeurs de localité, d'artisanat et de qualité à tous les aspects de notre restaurant, les aliments comme le reste, soufflent Gabi Dubuis et Danny Baker, créateurs de Luciole, établissement noté 13/20 à La Chaux-de-Fonds. Il était donc naturel de travailler avec une céramiste indépendante.» Eux collaborent depuis leur ouverture en janvier 2024 avec Laura Maillard, céramiste installée à Martigny sous le nom de Nautilus Ceramics.
(Grande image ci-dessus: la tartelette aux carottes de Danny Khezzar et la céramiste Laura Maillard dans son atelier)

Laura Maillard Nautilus Ceramics Martigny

«Si vous vous ennuyez dans votre travail, mettez-vous à la céramique», sourit Laura Maillard, à qui ce scénario est réellement arrivé.

Laura Maillard Nautilus Ceramics Martigny Les Touristes

Une création de Maël Gross et Christophe Genetti, le duo aux commandes du restaurant Les Touristes, à cinquante mètres de l'atelier de Laura Maillard. Ses premiers clients.

 
Laura Maillard Nautilus Ceramics Martigny

Après deux à trois semaines de séchage, deux cuissons (à 1000°C puis 1300°C) espacées dans le temps sont nécessaires à la création de la vaisselle.

Fonctionnel avant tout. Ancienne ingénieure en design industriel, Laura Maillard a toujours aimé créer, façonner, et la poterie la fascine depuis longtemps. Mais c'est en 2022 qu'elle se décide à en faire son métier. «J'ai commencé dans un tout petit atelier, puis, très rapidement, les gens qui passaient devant ma vitrine me demandaient si je donnais des cours, explique la jeune femme. Alors j'ai commencé par cela.» Mais outre ces ateliers, elle le dit elle-même sans détours: «Le fait d'avoir un petit cadre de départ m'aide à être créative, il me faut créer quelque chose de fonctionnel avant tout.» Et puisque Laura avait toujours rêvé de confectionner de la vaisselle pour des restaurateurs, un message aux chefs des Touristes, à une cinquantaine de mètres de son atelier actuel, a suffi pour la première commande. La machine était en route.

Laura Maillard Nautilus Ceramics Martigny Luciole

«Laura a personnalisé entièrement cette baguette que nous utilisons pour nos amuse-bouches, en créant un vert-de-gris, une couleur qu'elle n'avait pas en stock», expliquent Gabi Dubuis et Danny Baker.

Khezzar, Décotterd, Honajzer. «Petit à petit, je suis entrée en contact avec Danny Khezzar, Stéphane Décotterd ou encore Thibaut Honajzer, continue Laura Maillard. Je réalise pour chacun une ou plusieurs séries de bols, assiettes et autres contenants, mais leurs profils sont tellement différents que le premier gros travail est de m'imprégner de leurs univers.» Les demandes sont très diverses, et certains arrivent avec des volontés précises. Danny Baker et Gabi Dubuis, eux, lancent certaines idées mais aiment faire confiance à la céramiste: «L'automne dernier, nous voulions une pièce que nos hôtes puissent prendre en main facilement afin d'en manger et boire le contenu, et qui soit sensible au toucher, explique Gabi Dubuis. Avec ces données de base, Laura a laissé parler sa créativité avant de nous proposer un petit bol aux contours en forme de feuille de chêne, au tactile intéressant.» Mais pourquoi mettre autant de temps, d'énergie et d'argent dans ce qui reste, finalement, des contenants?

Laura Maillard Nautilus Ceramics Martigny Stéphane Décotterd

Féra du Léman, coquillages du Lac de Zurich et bourgeons de sapin, par Stéphane Décotterd. En ce moment, Laura Maillard confectionne pour le chef de Glion une série d'assiettes aux «imprimés» floraux.

Laura Maillard Nautilus Ceramics Martigny Les Trois Amis Ligerz

Fagottini aux chanterelles, petits pois, truffe et bouillon dashi au beurre blanc, par le chef Marc Joshua Engel, au restaurant Les Trois Amis à Schernelz (BE).

Personnalisation. «Travailler avec une céramiste, c'est comme collaborer avec un maraîcher ou un vigneron: c'est opter pour la meilleure qualité possible afin de faire la différence pour nos convives», explique le duo de Luciole, qui souhaite aussi «montrer que c'est faisable de travailler avec des artisans dans ce domaine, et de les valoriser». Il faut ajouter à cela une personnalisation complète des assiettes créées (couleur, forme, taille…) et la création de plusieurs prototypes afin d'entrer pleinement dans les critères des chefs. «La vaisselle participe à l'expérience multisensorielle du fait de manger, complète Laura Maillard. Elle fait partie de l'harmonie qu'on va créer avec le plat. En ce sens, j'estime normal de proposer trois à quatre variantes à mes clients, afin de leur suggérer des détails auxquels ils n'auraient pas pensé, puis d'ouvrir la discussion entre nous avant de livrer la série.» Un travail de longue haleine, qui a son prix.

Laura Maillard Nautilus Ceramics Martigny

Les premiers croquis de l'assiette pour Luciole…

 
Laura Maillard Nautilus Ceramics Martigny Luciole

… et ce que le chef Danny Baker en a fait ensuite: pickles de pomme et concombre, pousses de capucine, sphère explosive pomme-concombre-sherry, yoghurt maison à l'aspérule odorante et huile de livèche.

Un certain prix. Alors évidemment, au contraire de beaucoup de manufactures industrielles qui produisent des milliers d'assiettes par an et qui, par conséquent, affichent des prix plus (ou moins) bas, Laura Maillard doit répercuter son travail sur la facture. «Un lot d'assiettes me prend au minimum deux mois et demi de travail, calcule-t-elle. Sourcer mes matières premières dans les pays limitrophes plutôt que d'aller en Amérique du Sud, en Afrique ou en Asie, aussi, prend du temps et de l'argent, tout comme le travail des émaux et des couleurs.» Elle compte jusqu'à une septantaine de francs pour une assiette de taille classique, et une trentaine pour de plus petites. «Selon nous, c'est un investissement qui en vaut largement la peine, estiment Gabi Dubuis et Danny Baker. Laura a une grande compréhension des besoins en restauration, ce qui lui permet de présenter des pièces uniques et pertinentes dans tous les aspects, robustesse, taille, délicatesse… C'est un luxe discret.» Mais aussi, pour le duo de La Chaux-de-Fonds, c'est une manière de raconter une histoire. L'histoire, enthousiaste, d'une rencontre entre des chefs créatifs et une céramiste passionnée.

 

La céramiste Nautilus Ceramics à Martigny

 

Photos: Nomadic June Photography, India Belce-Kennedy