Un cuisinier. Le rendez-vous était donné au Bois Sauvage, restaurant auréolé de 14 points et situé dans les hauts du village d'Hérémence. C’est panosse à la main et grand sourire sur les lèvres que le chef Kevin Villaret nous a ouvert la porte. Une situation qui surprendrait presque: un chef qui s’occupe lui-même du nettoyage? «On est trois en cuisine, alors tout le monde fait tout, sinon on n’avance pas. C’est normal, non?». Nîmois d’origine et Hérémensard de cœur, l’homme de 30 ans nous corrigera même sur le vocabulaire: il n’est pas chef, il est cuisinier. «Chef, c’est quand tu as trois, voire deux étoiles. Moi, je cuisine, c’est mon métier.» Et il le fait très bien. (Grande photo ci-dessus: Pintade de Robin Geiser en trois expression, truffe noire et topinambour et le chef Kevin Villaret)

 

Street art. Kevin Villaret fut l’un de nos «chefs à suivre» en 2025, et cela n’a pas raté pour cet homme entier, qui a reçu cet automne une étoile verte du Guide Michelin. Amoureux du Val d’Hérémence depuis son arrivée en 2019, il grandit à Nîmes, «loin du cliché de l’enfant qui passe son temps dans la cuisine de sa grand-maman». Son grand-père, boulanger, tînt tout de même la Maison Villaret, active depuis 250 ans! Peut-être qu’un peu de levain coule dans son sang… Grand amateur de street art, Kevin a démarré un apprentissage dans un petit hôtel-restaurant de la place, avant de concrétiser une mention complémentaire dessert à l’assiette, et de briller au Trophée du Cuisinier Durand, au début des années 2010. Il a ensuite débarqué en Suisse, au Domaine Impérial, au sein du golf de Gland, avant de partir en Thaïlande, où il a pris un virage décisif.

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Coussin de saumon au safran.

Coup de bluff. Peu avant son retour, Kevin Villaret raconte avoir postulé auprès d'une multitude d’établissements en Suisse, pays dans lequel il se sentait bien. On lui propose une place de second au Bois Sauvage, qu’il accepte. Mais à son arrivée, il apprend que toute la brigade est partie soudainement. C’est alors qu'il tente un coup de bluff: «J’ai averti les propriétaires que je n’avais jamais tenu de poste de chef, mais que le défi me faisait de l’œil.» Seul en cuisine, il reprend une carte établie par le chef précédent, emplie de burgers, de röstis et de fondues, qui change trois à quatre fois par an… Un menu qui le fatigue et l’ennuie, exprime-t-il aujourd’hui.

 

Quête personnelle. Mais pour le jeune homme, c’est aussi une manière d’apprendre, de comprendre comment faire mieux tous les jours, et de découvrir petit à petit le terroir dans lequel il s’inscrit. «J’ai petit à petit changé la carte et les fournisseurs afin de m’aligner avec une cuisine qui fait sens pour moi. Je crois aux ingrédients que l’on trouve dans la nature et dont on ne se rend plus compte qu’ils existent», sourit-il en racontant ses balades en forêt, ses découvertes de champignons ou encore ses arrêts imprévus en voiture, après avoir repéré un sous-bois «intéressant». Ces recherches, ce travail sur le terrain, ces rencontres: tout cela l’aide à s’intégrer dans le Val d’Hérémence. Aujourd’hui, la confiance avec les fournisseurs est établie.

3x2 Ô Bois Sauvage Hérémence Kevin Villaret hiver 2023-2024

Kevin Villaret a appris à apprivoiser ce que la nature alpine lui inspire.

Pas de déception. Avec tant de travail et de remise en question, il serait légitime de ressentir chez le trentenaire une frustration quant au Bibendum. Mais il l’affirme: «Je n’ai jamais travaillé dans un restaurant étoilé, les portes m’en étaient fermées, alors je me suis toujours dit: «va la chercher seul, ton étoile, fais-le pour toi». Mais je ne veux pas tomber dans un système où tu cuisines "pour cocher les cases", dans lequel tu standardises ton offre, car il faut avoir telle proposition pour espérer telle distinction. Avec cette vision, l’étoile verte me correspond, et la rouge viendra petit à petit.» Elle est aussi devenue pour lui une sorte de jauge pour savoir où il se trouve. Car, estime-t-il sagement, «de l’intérieur, depuis ma cuisine, il est difficile de savoir si j’ai progressé ou non, sans que quelque chose de concret ne me le signifie.» C’est pour cela que Kevin Villaret se réjouit du jour où il pourra afficher «15 points au GaultMillau. Au minimum». Voilà qui réjouirait ce chef. Pardon, ce cuisinier.

 

Restaurant Ô Bois Sauvage à Hérémence


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Photos: DR