Photos: François Busson

Pourquoi aimez-vous tant les oranges?

C’est d’abord un fruit cher à mon enfance puisque j’appartiens à une génération qui en recevait, ainsi que des mandarines, à l’occasion de la Noël. Et puis il y a eu, un jour, une véritable révélation. Mes parents m’avaient invité à Crissier, chez Frédy Girardet, pour me récompenser d’être sorti premier apprenti de cuisine de première année en Valais. On était à la fin des années 70, j’avais 16 ans et je découvrais pour la première fois la haute gastronomie. A la fin du repas, Monsieur Girardet est venu saluer mes parents et m’a invité en cuisine pour réaliser, avec lui, à 11 heures du soir, un troisième dessert: un gratin d’oranges Madame France, que j’ai dégusté ensuite avec mes parents. Et ce soir-là, je me suis juré de revenir un jour travailler dans ces cuisines. J’y suis arrivé, après bien des détours, en 1986, et j’y suis resté cinq ans et demi pour finir sous-chef de Philippe Rochat.

Jean Marc Soldati

Le chef Jean-Marc Soldati.

Frédy Girardet, c’est votre mentor?

Avec Monsieur Girardet, j’ai appris la simplicité et l’économie des produits. Bien loin des tendances actuelles où l’on a l’impression que l’ustensile le plus prisé de certains chefs, ce sont les brucelles… Ici, on s’en sert pour assembler des montres, pas pour faire la cuisine (rires).

 

Quel est le plat de votre enfance qui vous a laissé un souvenir ému?

Mon enfance a été marquée par la cuisine du terroir de mes parents, qui étaient restaurateurs. Natif du mois de janvier, je réclamais toujours le même plat pour mon anniversaire: des endives au jambon. Mais le jambon, c’était encore du vrai jambon, les endives, elles avaient encore cette légère amertume caractéristique de ce légume. Mais bon, on y revient petit à petit. Aujourd’hui, je fais venir mes endives du Seeland par l’intermédiaire de la famille Laubscher, qui les blanchit encore de manière traditionnelle. J’aime bien farcir une sole avec une fondue d’endives agrémentée d’un peu de citron confit

 

Quel est le client qui vous a le plus marqué?

En 2002, l’année de l’Expo, j’ai reçu à manger toute une délégation d’officiels venus inaugurer l’arteplage de Bienne: une centaine de personnes pour lesquelles j’avais conçu un menu gastronomique qui comportait un omble mi-cuit à basse température. Au milieu du repas, je vois s’encadrer dans l’échancrure de la cuisine l’imposante silhouette de Léonard Gianadda. Et de sa voix de stentor, il demande tout à trac: «C’est qui qui a cuisiné ce poisson?» J’en ai encore les poils qui se dressent aujourd’hui sur les bras tellement j’ai eu la trouille… Je lui ai dit: «C’est moi.» Il a juste rajouté: «J’ai rarement mangé quelque chose d’aussi bon, d’aussi bien cuit et pour autant de personnes.»

 

Des cuisines étrangères qui vous séduisent?

Je suis un inconditionnel de l’Italie, pays qui offre beaucoup d’émotions culinaires. Il faut dire que j’adore les pâtes sous toutes leurs formes. Malheureusement, cette forte tradition culinaire héritée de la mama ou de la nonna, qui passaient des heures à confectionner raviolis et orechiette, est en déclin. On arrive encore à retrouver ces traditions dans des coins perdus en Toscane ou en Ombrie, mais c’est de plus en plus difficile.

 

Et l’Asie, nouvel eldorado culinaire?

Je suis allé deux ou trois fois en Thaïlande et, même si j’aime beaucoup leurs currys, je trouve qu’ils en abusent un peu dans tous les plats. Je suis plus attiré par la richesse de la cuisine japonaise. Je me suis rendu pour la première fois à Tokyo en 1990. Je faisais le commis pour Girardet, Bocuse et Robuchon, qui ont été reçus là-bas comme des chefs d’Etat. Michel Roth, gagnant du premier Bocuse d’or, accompagnait les trois cuisiniers du siècle! J’avais 27 ans et ce fut un voyage absolument magique. J’ai même signé des autographes! J’en profite pour recommander un excellent restaurant japonais qu’a ouvert, au début de l’année à La Neuveville, au Banneret, un de mes anciens collègues de travail de Crissier: Nori Ogura.

 

Bio, végétarien, végane: intéressants ou consternants?

Un peu agaçants! Mais nous payons aujourd’hui un demi-siècle de consommation de nourritures industrielles qui ont profondément perturbé la santé des gens. Je discutais récemment de cette question des allergies alimentaires avec Franck Giovannini et il m’a confié cette anecdote révélatrice. Il reçoit toutes les semaines une classe de l’Ecole hôtelière pour un cours en cuisine suivi d’un repas. Sur 20 à 25 élèves, il y en a toujours une demi-douzaine qui ont un régime particulier. Le Club Prosper Montagné est également venu manger à Crissier: 80 personnes entre 50 et 60 ans, et zéro régime spécial! D’où l’urgence de revenir aux produits de saison et de proximité cuisinés avec respect. Respect que l’on devrait également accorder à nos producteurs, car si certains ont triché, c’est parce qu’ils étaient acculés économiquement par l’industrie et les grands distributeurs alimentaires.

 

>>La recette des endives au jambon de son enfance

 

Ingrédients

8 belles endives

Le jus de ½ citron

20 g de graisse de rognons

10 g de beurre

10 g de sucre

Sel et poivre

 

Préparation

  1. Mettre tous les ingrédients dans un sachet cuisson sous vide et cuire soit au four à vapeur, soit dans une casserole d’eau pendant 15 minutes.
  2. Choisir 8 tranches de jambon pas trop fines et envelopper les endives que l’on aura bien égouttées.
  3. Les poser dans un plat à gratin légèrement beurré.
  4. Faire une béchamel légère avec 30 g de beurre et 30 g de farine, mouiller avec ½ l de lait, saler et poivrer et mettre une pincée de muscade, porter à ébullition 2-3 min et finir avec ½ dl de crème double.
  5. Napper généreusement les endives de la sauce béchamel et saupoudrer le tout avec du gruyère râpé.
  6. Mettre au four à 180°C, entre 20 et 30 minutes.