Est-ce que vous arrivez déjà à tirer un bilan de l’année 2019?

C’était une année phénoménale, sur tout les points! On a connu aucun creux, aucun moment calme: la satisfaction des collaborateurs et celle des clients a constitué une récompense incroyable qui s’ajoute à tous les prix reçus! Ça fait vraiment plaisir! D’un point de vue personnel, après vingt-cinq ans passés à Crissier, c’est ma première année complète seul à la barre. Après tous les malheurs qu’on a connu, j’arrive maintenant enfin à me dire que je suis ici chez moi. 

 

A quoi ressemble la famille de Crissier aujourd’hui?

On a une brigade de 25 personnes, 60 collaborateurs sur place et 10 à Cheseaux, où on a une boulangerie. 

 

Et en 2020, quelles seront les nouveautés?

Je pense que ce n’est pas une surprise mais on a décidé de maintenir notre rythme des cinq saisons. On essaie de rester près d’ici en terme de provenance des produits. Je ne sais pas si on peut vraiment parler de local, il manque quand même deux-trois choses essentielles en Suisse, mais ce qui est sûr, c’est que j’arrive à ne travailler qu’avec des pays limitrophes: il n’y a pas de traversée d’océans!

 

Un autre projet concret au programme?

On a procédé à quelques travaux d’aménagement et nous sommes en train de penser à aménager une pièce libre en musée pour rendre hommage à l’histoire phénoménale de cette Maison. J’imagine les gens fumer un cigare ou prendre un verre dans une pièce remplie d’archives et des souvenirs de 65 années, 5 chefs d’exception: ce sera magnifique! 

 

Vous avez pour habitude de vous adapter à tous vos clients. Mais pourriez-vous imaginer, par plaisir, un menu tout végétarien?

C’est vrai qu’on se fait un plaisir de satisfaire toutes les demandes de nos clients. Je n’écris pas toutes les variantes possibles sur la carte, il y a 14 familles de produits allergènes! Je cuisine avec plaisir végétarien, mais les extrêmes m’ennuient. Pour moi, l’équilibre c’est un peu de tout, avec mesure. On ne parle pas de plat, on construit un menu. On pense plus global. J’avoue que le tout vegan, je trouve un peu triste. Oui, c’est plus de travail, forcément, de refaire toutes les sauces, les purées, sans le petit peu de crème, de beurre ou de lait, qu’on utilise traditionnellement. 

 

Patates douces, quinoa, riz, pastèque, ...est-ce que l’apparition de nouvelles cultures et produits maraîchers en Suisse, réchauffement climatique oblige, vous inspirent pour votre carte? 

Oui, on travaille avec nos légumes, nos saisons. Mais je ne suis pas très féculent, au restaurant. Je trouve que ça alourdit un peu l’ensemble. On est toujours à la recherche de nouveauté, et d’excellence dans les produits régionaux. On utilise d’ailleurs du safran cultivé ici…
 

Vos prédécesseurs avaient des produits à leurs noms. Vous ne vendez que de rares cadeaux gourmands au nom de l’hôtel de ville. Cela pourrait changer?

Non, je ne crois pas. On a pas le projet d’ouvrir une boutique. Nous sommes un restaurant, pas un magasin. Par contre, j’ai dans l’idée d’écrire un livre de cuisine. J’ai participé aux livres des autres, là, j’ai envie de faire le mien, et je sais exactement ce que je veux y voir figurer. Des recettes qui mélangent l’excellence et celle que l’on peut faire chez soi, fort de l’expérience des gens qui ont participé aux ateliers culinaires que nous organisons. 

 

On peut espérer une brasserie à Crissier, ou un pop up restaurant, moins exclusif, un jour?

Je ne nierais pas que ça m’intéresse. Il ne faut jamais dire jamais mais pour l’instant, le temps me manque et je ne sais pas encore me dédoubler. Je me fais un point d’honneur à être là tous les jours, pour tous les services. C’est très important pour moi, mon équipe et mes clients. C’est une question de respect.

 

Vous avez dit vous sentir enfin chez vous: ça se manifeste comment?

Je me sens plus léger d’une certaine façon. Rien n’est jamais acquis mais je pense que l’année qui s’est écoulé nous a prouvé et a prouvé à tout le monde ce qu’on valait. Ici, il y a une histoire particulière, on est dépositaire d’une histoire, mais, comme tout le monde, à la recherche d’innovation, de mieux, de frais. Je pense qu’on a su trouver notre évolution. On a toujours la philosophe de Monsieur Girardet, celle du produit, de son goût reconnaissable, pur, mais on y a ajouté un soin du détail, dans la présentation, dans la minutie, dans la recherche de plus de végétal, plus de texture. 

 

Vous êtes depuis peu le parrain du Mérite Culinaire Suisse, qui vise à reconnaître l’excellence dans les métiers de bouche. Comment  voyez-vous ce rôle, ce nouveau label?

On en est qu’aux prémisses de cette opération, mais je suis toujours pour mettre en valeur ces métiers d’artisan, manuels, de passionnés. La Suisse n’a jamais été bonne pour mettre en valeur sa gastronomie, contrairement à la France. Nous savons mettre en valeur nos produits mais pas le nombre de chefs étoilés et de bons cuisiniers qui sont pourtant très nombreux dans un si petit territoir. Dites “Gastronomie suisse” et on vous répond, chocolat, raclette, fondue! La cuisine montagnarde, c’est super mais ce n’est pas tout. 

 

Et pourtant, il n’y a jamais eu autant de label, de classements, de concours…

C’est un peu la jungle, c’est vrai. On sature un peu. Mais si on mélange les labels et les classements, c’est parce qu’ils sont souvent peu clairs et peu mis en valeur. Ils perdent alors en crédibilité. Il y a aujourd’hui trop de meilleurs cuisiniers, de meilleurs restaurants du monde, et on compare des choses qui ne sont pas comparables. Parfois, on a l’impression que le plus important c’est la médiatisation, la présence sur les réseaux sociaux, le nombre de followers qu’a qui détermine la position du cuisinier en tant qu’influenceurs

 

Et à ce classement là, vous êtes premier ou dernier?

Alors là, je suis nul! Les réseaux sociaux ne sont vraiment pas mon truc: je n’ai même pas de compte privé. Et ce n’est pas prêt d’arriver! Ma femme est un peu meilleure, mais mes enfants sont très bons. Moi, je reste juste un cuisinier!