Texte: Jennifer Segui
Une cuisine d'ailleurs. «Ma cuisine est pleine de contrastes, et si vous avez des ingrédients de base, vous pouvez les twister avec des épices, des herbes, des petites sauces…» Interrogé par Gault&Millau Channel en novembre dernier à l’occasion de son passage à Genève pour la promotion de son dernier ouvrage «Comfort», Yotam Ottolenghi résumait en peu de mots ce qui fait le succès de ses recettes: des produits facilement accessibles sublimés par la magie de quelques à-côtés venus d’ailleurs. Un ailleurs qui est d’ailleurs loin de s’arrêter aux frontières d’un état. Anglo-israélien, le chef et auteur culinaire explore depuis ses débuts une cuisine chamarrée, joyeuse et créative qui tire ses inspirations bien au-delà du seul répertoire israélien ou même juif (grande photo ci-dessus: un man'ouché à La Levantine à Genève).
Ottolenghi n'hésite pas à s'affranchir de la tradition, ici en mariant la cuisine levantine avec la gastronomie italienne avec un saumon façon puttanesca.
D'Israël à l'Irak. Ses recettes qui s’affranchissent des frontières, comme des religions. Son livre «Jerusalem», publié en 2012, vendu à 10 millions d’exemplaires à travers le monde et traduit en 30 langues, est le parfait exemple de cet état d’esprit: c’est avec son meilleur ami et partenaire en affaires, le Palestinien Sami Tamini, que ce succès d’édition a été écrit. Et c’est ensemble qu’ils dressent la liste de plats qui font partie de leur histoire et de leur patrimoine gustatif communs. Israël, territoires palestiniens, mais aussi Liban, Syrie, Irak, Jordanie, Turquie et Arménie, dans ces pays aux passés et présents parfois troublés, s'il y a bien un sujet qui rassemble, c’est celui du contenu des assiettes.
Photogénique. Trait d’union entre toutes ces cultures, la gastronomie levantine s’inspire depuis toujours des traditions culinaires de ces anciens territoires de l’Empire Ottoman, auxquels s’ajoutent parfois quelques influences grecques ou chypriotes. Partie intégrante de la cuisine méditerranéenne, et indissociable de son ingrédient phare, l’huile d’olive, elle se caractérise par ses ingrédients simples et peu coûteux, ses recettes généreuses et goûteuses et la place qu’elle accorde aux légumes, aux légumineuses et aux épices. Conviviale, cette manière de préparer et de déguster les plats s’articule aussi autour de l’esprit de partage, à travers notamment la tradition des mezzés. Houmous, falafels, kebabs, pain pita, baklavas font partie de ces mets emblématiques dont on ne sait jamais vraiment d’où ils viennent. Quant aux épices comme le sumac, le zaatar, et aux préparations comme le tahini ou le muahamarra, des termes dont l’orthographe varie selon la position géographique, ils sont incontournables des menus de ces nations du Levant. Hyper photogénique et instagrammable à souhait, la cuisine levantine et ses innombrables possibilités végétariennes collent parfaitement à l’air du temps.
Etoilé à Paris, le Franco-libanais Alan Geaam a ouvert Qasti en 2024 à Lausanne. il y fait découvrir un pan de la cuisine levantine, axée sur la gastronomie libanaise.
Les douceurs du Levant séduisent les palais européens. Le chef Geaam possède d'ailleurs une pâtisserie à Paris.
«Grande culture des épices». Contrairement à Londres, où Yotam Ottolenghi possède déjà huit restaurants, (et où l’on annonce un neuvième établissement au printemps dans le quartier huppé de Richmond) ou à Paris, où des chefs très médiatiques comme Assaf Granit ou Julien Sebbag surfent sur des adresses festives dans lesquelles ont se régale de saveurs aux accents moyen-orientaux, le terme de cuisine levantine n’est que peu connu en Suisse. Pourtant, les tables qui déclinent sa richesse ne manquent pas. Star des stars de cette gastronomie, la cuisine libanaise est sans doute la plus plébiscitée. Créateur des restaurants Qasti à Paris, le chef Alan Geaam, qui vient d’ouvrir une nouvelle adresse à Lausanne, en lieu et place de l’ancien OBeirut, concède: «Comme je suis d'origine libanaise, je mets en avant la cuisine de mon pays. Mais il suffit de se plonger dans l'histoire pour se rendre compte qu'il n'y a pas une cuisine libanaise, ou palestinienne, ou syrienne. C'est vraiment une cuisine levantine, où la frontière est un peu plus large. Et il y a plein de recettes qu'on partage autour notamment d’une grande culture des épices. Moi qui viens du nord du Liban, je suis par exemple très inspiré par les recettes syriennes.» Si nombre de préparations se jouent des frontières, quelques recettes traversent les siècles en conservant leur authenticité et leur particularité géographique: «Il reste toujours le petit assaisonnement propre à chacun, le petit détail à la fin. Au Liban, on n’ajoute par exemple pas de concombre en brunoise au taboulé. En Israël, si.»
«Ottolenghiser» la cuisine. uisine fraîche et généreuse du Liban. Recettes syriennes tantôt douces, tantôt piquantes tantôt parées de la délicatesse de la rose. Etonnante gastronomie arménienne, que l’on voit d’ailleurs pouvoir goûter avec la toute récente ouverture du restaurant arménien, le Mayring Bistrot à Genève… Yotam Ottolenghi emprunte ici et là pour perpétuer à sa manière l’ancestrale cuisine levantine. Pour offrir des recettes «ottolenghisées» qui s'affranchissent parfois des traditions. Mais qui donnent furieusement envie d’en découvrir toutes les richesses et les nuances.