Cuisine valdo-catalane. C’est au centre de Lausanne qu’Alba Farnós Viñals nous a donné rendez-vous, un mercredi ensoleillé de printemps. La jeune cheffe est venue s’approvisionner en légumes frais au marché. Ses menus sont en effet exclusivement composés de produits de saison et mettent en valeur le terroir vaudois, tout en rappelant ses origines catalanes.

 

Histoire surprenante. Alba est née à Barcelone il y a trente-trois ans. Formée à l’école Ferrandi, à Paris, elle fait ensuite ses armes dans plusieurs restaurants gastronomiques de la capitale française. Depuis le 15 janvier dernier, elle est à la tête de l’Auberge de l’Abbaye de Montheron (VD), qu’elle a reprise avec Paul Marsden, son compagnon. «La première fois qu’on est venus dans ce restaurant, c’était à quatre, avec nos ex-respectifs, avoue la jeune femme dans un éclat de rire. C’est génial d’avoir pu trouver un endroit avec autant d’histoire. Les gens viennent ici pour des occasions spéciales, ils créent des souvenirs particuliers et nous, on adore participer à tout ça. C’est une chance unique.» Le couple s’est rencontré à LEGRAM, le restaurant fondé par Paul à Renens en 2019, au sein duquel Alba œuvrait en cuisine. Un concept basé sur le circuit court et la cuisine durable, qui a malheureusement fermé ses portes début 2023, victime de la pandémie.

Alba Farnós Viñals Abbaye de Montheron

Alba Farnós Viñals et son compagnon Paul Marsden dans la salle principale de l'Auberge de l'Abbaye de Montheron.

 

Parcours atypique. On retrouve la cheffe sur la magnifique terrasse de l’Auberge, bordée par le Talent, bucolique rivière vaudoise, au cœur de la forêt du Jorat. C’est dans ce beau bâtiment historique aux murs épais, habillé de traditionnels volets à chevrons rouge et blanc, que le couple exprime aujourd’hui sa créativité. «On croise les doigts pour que tout se passe bien, poursuit Alba. Mais c’est vraiment un projet que l’on voit sur le long terme.»

 

Joli cadeau de Noël. Sourire aux lèvres, la cheffe ne boude pas son plaisir. Après une phase de découragement à la suite d’un projet avorté à la gare de Renens, cette reprise est arrivée à point nommé et tout s’est enchaîné très vite. Un contrat signé le 24 décembre dernier, pour une réouverture le 15 janvier. En une dizaine de jours, Alba et Paul ont entrepris de rafraîchir les lieux pour y apporter leur patte: nouveau logo, nouvelle vaisselle créée par un céramiste, uniformes flambant neufs, dont les tabliers vert sapin qui rappellent les bois du Jorat attenants à l’établissement. Tout a été passé au crible. Il a ensuite fallu élaborer la nouvelle carte, puis remplir les frigos et constituer les stocks afin de recevoir les premiers clients dans les meilleures conditions. «Le mois de janvier a été très sport», reconnaît Alba en riant.

Alb Farnós Viñals Abbaye de Montheron

Perdu au cœur des bois du Jorat, le restaurant est une perle hors du temps.

Alb Farnós Viñals Abbaye de Montheron

Avant Alba Farnós Viñals, c'est Rafael Rodriguez qui officiait dans cette cuisine. Il avait décroché seize points ainsi que les étoiles verte et rouge au Guide Michelin.

Alb Farnós Viñals Abbaye de Montheron

La cheffe apprécie beaucoup le travail des fermentations. Ici, des pickles de légumes-racines.

 

Ingénieure en biochimie. Nommée parmi «les dix chefs à suivre» du GaultMillau en 2023 et 2025, la jeune femme a d’abord entrepris des études d’ingénieure en biochimie avant de tomber dans la marmite de la cuisine. Une passion qui a également fait office de thérapie, la sauvant de l’anorexie. «Ça a duré pendant très longtemps, confie-t-elle. Adolescente, mais aussi plus tard, à l’université. Quand je suis partie de la maison à 22 ans pour faire mon master à Marseille, j’ai commencé à travailler pour Biocoop, puis dans des bars et des restaurants. J’ai adoré ça. Je considérais la nourriture comme un démon, c’était mon obsession. Le fait d’en être entourée tout le temps m’a permis de la démystifier et d’arrêter de vouloir contrôler tout ce que je mangeais. En cuisine, tu n’as pas le choix, tu dois goûter tout le temps ce que tu prépares.»

Plat: Brochet, carotte, reine-des-prés & tournesol

Brochet, carotte, reine-des-pré et tournesol: la cuisine d'Alba est instinctive et espiègle, pousse à la curiosité et à l'étonnement.

Alb Farnós Viñals Abbaye de Montheron

Malgré la grande liberté qu'elle se permet, la cheffe applique de fortes bases techniques.

Belles ambitions. En début d’après-midi, les divers membres de l’équipe arrivent un à un et chacun s’attelle à sa tâche. Sur le mur, les réservations pour le prochain service sont affichées. A chaque ligne, on remarque des demandes spéciales. Une bougie sur le gâteau pour un anniversaire. Une préférence pour la table ronde. Et une ribambelle d’exigences alimentaires. Pas de lactose. De gluten. De produits d’origine animale. De fruits à coque. De poisson. La liste est sans fin. «Il y en a énormément et tout le temps, confirme Alba, qui propose à sa carte deux menus uniques. C’est un peu compliqué parce que les gens viennent dans un restaurant gastronomique pour la diversité des plats et le côté un peu «surprise», mais ils demandent des choses très cadrées. C’est contradictoire parfois, mais il faut s’adapter. Malgré le casse-tête que cela peut représenter, j’ai toujours des alternatives et ça ne me dérange pas. Au contraire, ça pousse la créativité.»

Alba Farnós Viñals Abbaye de Montheron

La jeune Catalane connaît parfaitement le marché de la capitale olympique - ainsi que ses artisans.

Toques jaunes, étoile verte, étoile rouge. Il est 14h15 et, déjà, les premiers effluves s’échappent de la cuisine. A côté des poireaux en train de dorer, une énorme casserole d’eau fumante reçoit un monceau d’épluchures de carottes. Une fois bouillies, elles seront déshydratées puis réduites en poudre, pour agrémenter les prochaines créations d’Alba. L’occasion d’évoquer la fameuse étoile verte Michelin, cette récompense accordée aux restaurants qui se distinguent par leur engagement en faveur de la gastronomie durable, héritée de ses prédécesseurs. La jeune femme compte bien la conserver, même s’il n’existe pas de cahier des charges clair à suivre. «J’ai toujours eu cette sensibilité, poursuit-elle, mais pour pouvoir cuisiner de manière à valoriser au maximum chaque aliment, il faut de la main-d’œuvre, dont je ne disposais pas ces dernières années. A Montheron, il y a l’infrastructure, le matériel et le personnel. Avec une ou deux personnes de plus, on pourrait aller encore plus loin, confire des pots, fabriquer des sirops et des vinaigres, mais chaque chose en son temps.»

Alba avec son sous-chef dans la chambre froide

À Montheron, les animaux proviennent aussi des alentours, et la cheffe collabore étroitement et en direct avec les fournisseurs.

 
Alb Farnós Viñals Abbaye de Montheron

Paul et Alba peuvent enfin «profiter» d'un cadre professionnel stable. Récemment, le premier a même demandé la seconde en mariage!

Equipe solide et soudée. Pour la suite, Alba vise également l’étoile rouge Michelin, reconnaissance ultime pour un chef. Elle se donne néanmoins un peu de temps pour y parvenir. «L’objectif réaliste de cette année, c’est que les clients reviennent, reconnaît-elle, lucide. Nous avons beaucoup de pression, parce que nos prédécesseurs sont réputés et nous devons créer notre propre identité tout en assurant une certaine continuité. Et, bien sûr, garder l’étoile verte. C’est essentiel, mais je vais essayer de ne pas perdre le sommeil.»

 

Ancien militaire. Pour rester zen, elle peut compter sur son Paul, qui a passé huit ans dans les forces spéciales de l’armée britannique, notamment en Irak et en Afghanistan. Il a connu la Suisse à travers des camps d’entraînement de ski à Verbier. Lorsqu’il a retrouvé la vie civile, il a entrepris sa reconversion hôtelière dans la station valaisanne. «C’est pour ça qu’il est si gentil maintenant, s’amuse Alba. Et c’est aussi pour cette raison que j’adore travailler avec lui. Il a vu tellement de choses que maintenant, plus aucun problème n’en est vraiment un. Quand je doute, il continue d’avancer.»

FRANCK REYNAUD. MARIE ROBERT, ALBA FARNÓS VIÑALS ET NICOLAS DARNAUGUILHEM

Aux côtés de Franck Reynaud, Marie Robert et Nicolas Darnauguilhem (de g. à d.), Alba (en blanc) est l'une des protagonistes de la nouvelle série «La course aux étoiles», diffusée quatre lundis soirs de suite, à 20h10 sur RTS 1.

Futurs mariés. Une belle histoire, qui se concrétisera par une union officielle, le 31 décembre prochain. Une date choisie avec soin. «Beaucoup de mariages sont prévus à l’Auberge avant l’été et en septembre, détaille Alba. On s’est dit qu’on allait en avoir ras-le-bol et on trouve ça joli de se marier à Nouvel An.» Aucune frustration non plus à l’idée de céder sa place aux fourneaux pour ce grand événement. «Tout ce que je veux, c'est précisément ne pas devoir cuisiner et ne rien devoir organiser, assure la future mariée. En tant que cliente, je ne suis pas pénible et j’adore quand on cuisine pour moi.» D’ici là, elle aura eu le temps de ravir bien des papilles.

 

L'Auberge de l'Abbaye de Montheron

 

Photos: Blaise Kormann