Texte: Knut Schwander Photos: Thomas Buchwalder, Julie de Tribolet, L'illustré, Gourmet Brothers

«Ce n’est pas le repas qui m'a le plus plu», explique Guy Ravet, le nouveau chef de l’Hôtel du Lac et président des Grandes Tables de Suisse, à Vevey, qui s'était attablé au Noma il y a déjà quelques années. «Ça m’a paru très conceptuel. Et pourtant le Noma venait d’être nommé meilleur restaurant du monde. Mais, personnellement, à Copenhague, j’ai été plus touché par la cuisine du Geranium, par exemple. Cela n’ôte cependant rien à l’incroyable créativité et au développement technique initié par René Redzepi, un chef précurseur qui continuera à marquer la gastronomie». 

 

Penis de renne en ragoût. Romain Paillereau, lui, a mangé au Noma hier soir: «C’est un hasard de calendrier si je suis à Copenhague pour quelques jours. Chaque soir, je vais goûter la cuisine d’une autre des table de la capitale: Jordanaer, Kadeau, Geranium…» Résultat, au Noma il a dégusté 19 plats sur le thème de la chasse: ours, coeur de renne, ris de renne, pénis de renne (en ragoût)... «C’est inspirant, mais je ne pense pas que je pourrais convaincre mes clients aux Trois Tours avec ce type de cuisine. En revanche, j’ai été impressionné par les mises en scène. Et je vais m’appliquer à explorer cet aspect de la cuisine.»

 

«Il a remis au goût du jour des techniques ancestrales». Des techniques que les années 70 avaient fait oublier, constate Denis Martin. Le chef veveysan a côtoyé René Redzepi et ses «impressionnants Vikings tatoués de deux mètres de haut» lors de diverses démonstrations culinaires où il l’a vu renouer avec les méthodes du passé: «La lacto fermentation, par exemple, qui n’est autre que la technique qui permet de réaliser la choucroute. La fumaison aussi, qui fait son grand retour grâce à lui», rappelle le chef veveysan qui voit en René Redzepi un lanceur de modes: «Prenez sa pomme évidée et farcie. Depuis que René Redzepi l’a proposée, il y a un an et demi, on en voit partout, sur Instagram comme dans les menus des chefs du monde entier.»

 

Benjamin Luzuy aussi est revenu impressionné: «La première fois que je suis allé au Noma, c’était en 2012: j'avais l’impression de vivre dans Charlie et la chocolaterie. J’en ai pris plein les yeux.» Du coup, il a envoyé sa candidature. Et il a été pris! Le seul problème, c’est que c’était pile au moment de l’ouverture de son premier restaurant de Vésenaz: «Mais c’était impossible de rater ça», se souvient le fracassant chef genevois. «Cela dit, je travaillais 15-16 heures par jour et j’ai perdu huit kilos en un mois et demi. Plutôt que «Charlie et la chocolaterie», c'était «Les temps modernes»: je répétais 600 fois le même geste, tous les jours, sans être rémunéré ni logé. Par contre, en tant que client, ça a été bouleversant et exceptionnel à chaque fois.»

 

Un label humain à développer. Guy Ravet le relève: «Le modèle du Noma ne fonctionnerait pas s’il fallait rémunérer tous les collaborateurs». Un avis partagé par Benjamin Luzuy: «Tout comme Ferran Adria, René Redzepi a été décrié parce que chez lui tout le monde bosse gratuitement. Ce modèle doit évoluer. Je suis persuadé qu’au cours des prochaines années, on va voir se développer un label «Humain social responsability» et dans ce registre, moi, j’aimerais en être l’un des pionniers.»