Photos: Blaise Kormann

La Maison Rose aux volets perle porte un châle de vigne vierge et un diadème de glycine. Depuis 1780, la demeure de la famille Bovard s’épanouit et s’agrandit à Cully, face à l’un des plus beaux panoramas du monde: entre barques de pêcheurs et arbre de la liberté – un platane planté en 1798 – elle regarde le lac et les Alpes. C’est ici que vit Louis-Philippe Bovard, 85 ans, le plus révolutionnaire des «barons» du Dézaley.

 

Prestance et regard vif. On le connaît au quotidien avec sa casquette de marin. On l’a vu en membre de la Confrérie des vignerons, au château de Chillon. En costume de Confrère, aussi, lors des trois dernières Fêtes des vignerons. Et même en smoking, pour ceux qui l’ont croisé à Bayreuth, à l’opéra. Mais, à quelques jours des Caves ouvertes vaudoises, quelle que soit sa tenue, on admire la prestance, l’allure sportive, le regard vif, le verbe précis de ce grand homme de la vigne qui se réjouit d’annoncer: «On arrive au bout de la révolution que je souhaitais!»

 

La révolution? Oui, celle de ses vins. Des crus ciselés, qu’il a métamorphosés au cours des trente-cinq dernières années. En précurseur, il a planté des cépages inédits et bousculé les procédés de vinification, passant à la biodynamie et s’en écartant de nouveau, sans craindre de déplaire: «Je ne demande pas, je fais.» Exit le gamay, donc («parce que ma femme ne l’aime pas»); bonjour le sauvignon et le chenin blanc.

Portrait devant la maison Rose du domaine Louis Bovard

Le tableau de «La Violette», daté de 1860: avec ce voilier à vapeur, son arrière-grand-père livrait ses clients.

Bonne pioche: en 2017, ce dernier obtient 93 points chez Parker et les compliments de l’Académie du chenin, à Angers. «Il est deux fois plus acide que le chasselas.» Et l’acidité, aux yeux de Louis-Philippe Bovard, c’est l’une des clés du vin d’avenir: «Ce sont mes amis cuisiniers Frédy Girardet, Adolf Blockbergen et Hans Stucki qui m’ont indiqué la voie à suivre, quand j’ai pris en main le domaine. Leur souhait: des vins locaux, mais acides, pour convenir à la grande gastronomie.»

 

Le chasselas, Louis-Philippe Bovard en est l’un des plus fervents défenseurs. Alors il n’échappe pas à cette remise en question. Résultat: le Médinette centenaire a obtenu 92 points chez Parker. Ce chasselas a beau porter le nom d’un temple égyptien (Medinet Habu, dédié à la vigne) et une étiquette au charme rétro (elle montre le Bacchus de la Fête des vignerons de 1905, Albert Bovard, un neveu de la famille), il mérite plus que jamais son slogan: «Le plus fin des vins suisses». C’est un TGV (un très grand vin), comme dirait Jérôme Aké Béda, sommelier et auteur d’un livre dédié au chasselas.

 

«Je vais parfois plus vite que le courant», explique l’entreprenant Louis-Philippe Bovard avec le recul. Or, une révolution implique aussi déconvenues et sacrifices. En modifiant ses vins, en 1994, le Domaine Louis Bovard a donc perdu le tiers de sa clientèle d’habitués! Mais, très vite, les sommeliers ont adopté ces vins différents, ouvrant la voie au changement. «Aujourd’hui, on consomme autrement. Les gens ont plus d’argent.»

 

Or en Lavaux, la topographie rend l’exploitation de la vigne particulièrement onéreuse. «Nous n’avons donc pas le choix: nous devons vendre des vins chers.» Mais pour cela, il faut une qualité de niveau international. Mission accomplie: en 2000, le domaine a exporté 8000 bouteilles à New York, notamment chez Daniel Boulud, le chef le plus coté de la métropole américaine.

Louise Bovard

Depuis 1530, neuf Louis et une Louise Bovard se sont succédé.

«Pas le temps d’attendre». Pour Louis-Philippe Bovard, ce n’est pas une raison pour se reposer sur ses lauriers: «A mon âge, je n’ai pas le temps d’attendre», explique celui qui commence ses journées de travail vers 9h30, après sa gymnastique, et qui la finit vers 1h30 du matin. Entre deux, il pratique la voile et lit Voltaire, avec un seul petit regret cette année: «Je n’ai pas fait de ski, car j’ai repris le travail de mon commercial parti l’année passée.» Quand il ne travaille pas pour son entreprise, Louis-Philippe Bovard travaille en bénévole, par assion. A son actif, de grandes réalisations comme le Musée de la vigne et du vin au château d’Aigle, la Baronnie du Dézaley, Arte Vitis ou la Commission du grand vin, qu’il a lancée avec son ami Jean-Pascal Delamuraz, pour encourager l’excellence en viticulture

 

Du sur-mesure. Mais c’est sans doute le Conservatoire du chasselas qui lui tient le plus à cœur: une collection de plants – 19 types de chasselas – sur une parcelle de 4800 m2 en plein Lavaux: «Tout a commencé par une cartographie du climat et l’analyse fine des terroirs. Un outil qui a permis de créer de nouveaux clones.» Du sur-mesure, en quelque sorte: des plants idéaux, résistants et adaptés aux différents vignobles. «Grâce à ces clones, nous pourrons nous passer d’azote et de pesticides sans altérer le goût du vin.» Une révolution, encore une.

 

Et dire qu’en 1959, le jeune Louis-Philippe, «trop carré et trop libre», avait renoncé à reprendre le domaine… «Je viendrai quand tu auras besoin de moi», lance-t-il à son père, qui ne lui laisse pas assez de marge de manœuvre. Alors, il part étudier le droit et l’économie, il s’investit pour l’Expo 64 avant de diriger l’Office des vins vaudois, puis le Comptoir suisse. «C’est en 1983 que j’ai repris le domaine, pour le remettre sur les plots. Il m’a fallu trois ans…»

Bovard

Aujourd’hui domaine d’avant-garde, la Maison Rose, à Cully, garde le souvenir des vendanges d’antan.

Programmé jusqu’à 108 ans. Heureusement, chez les Bovard, la persévérance semble ancrée dans l’ADN de la famille. De 1530 à nos jours, neuf Louis Bovard et une… Louise (qui n’a pas hésité à épouser un Bovard, d’une autre branche, pour garder son nom!) ont fait fructifier le domaine, qui s’étend sur 13 hectares. De père en fils, les Bovard sont pêcheurs et navigateurs. Et tous vivent jusqu’à passé 90 ou 100 ans! «Moi, je me suis programmé jusqu’à 108 ans, pour pouvoir fêter dignement les 100 ans de ma femme», lance Louis-Philippe, qui a encore plein de projets, dans le domaine de la formation professionnelle qu’il veut rendre plus valorisante, pour favoriser l’excellence chez les générations futures: «Car même si le monde change et que des menaces planent, je reste confiant dans l’humanité.»

 

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Les caves ouvertes autrement

Avec 100'000 participants enthousiastes en 2018, les Caves ouvertes vaudoises sont un rendez-vous incontournable. Cette année, elles ont lieu les 8 et 9 juin. Comment ça marche?

Le concept: on se balade, on découvre, on mange et on déguste des crus dans 300 caves réparties dans tout le canton.

Pour participer, il suffit d’acheter un «Passeport caves ouvertes».
En ligne, sur le site www.region-du-leman.ch, jusqu'au 7 juin, il coûte 24 fr. au lieu de 30. Il donne droit:

  • A un verre, qui vous servira durant toute la balade
  • Aux transports publics et navettes gratuits pour passer d’une cave à l’autre pendant les deux jours
  • Aux dégustations de vin et de produits du terroir
  • A un bon d’achat de 12 francs sur ses emplettes (dès 6 bouteilles)