Texte: Knut Schwander
Ambition, vision et talent. Gilles Varone, notre «Découverte de l’année» 2023 a déménagé. S’il reste sur la commune de Savièse, son nouveau restaurant est une version augmentée du précédent. Ils étaient quatre aux fourneaux à Chandolin, désormais, à Saint-Germain, ils sont huit. Et ils s’activent dans une cuisine de compétition avec une sérénité et un calme qui forcent l’admiration. Gilles Varone a vu grand. Hier soir, les 25 convives de son premier service n’ont pu qu’admirer le résultat de mois de réflexion, de création et de planification. Le lieu est magnifique et le service millimétré. Quant aux assiettes du menu en 5, 6, ou 7 services, elles suscitent l’enthousiasme: ici, les produits de proximité sont sublimés avec maestria. De l’asperge inoubliable au pissenlit inattendu, l’agneau est magistral et la rhubarbe dressée en forme de rose d’une rare délicatesse. (Grande photo ci-dessus: Gilles et Létizia Varone dans leur tout nouveau restaurant, à Savièse.)
Des plats beaux, bons et inattendus. Au pass, Gilles, tablier noir marqué de ses initiales et basket blanches, gère le timing des envois et les finitions de dressages. Les assiettes qui sortent avec une régularité métronomique sont les unes plus nettes et plus séductrices que les autres. Un pétale par ici, une émulsion par là, l’asperge en cuisson fantastique arrive auréolée d’une tiare de fines herbettes serties dans une sarabande d’asperge en rubans. Quelle beauté et quelle volupté: les textures se répondent, les saveurs du foin fumé et de la noisette se complètent. Le mouron des oiseaux couronne le tout: le nom est si joli et la saveur rappelle la noisette. Noisette qui jalonne le menu, avec l’ail des ours et l’asperge: un trio de produits d’immédiate proximité et de saison: le chef y tient. On retrouve donc l’asperge, mais sauvage et verte, avec le sandre à la cuisson idéale qu’une intense sauce au chorizo -une merveille d’équilibre!- vient souligner. Quant à l’agneau de Champéry, il est décliné en noix tendre et en épaule effilochée, servie en un mini-sandwich voluptueux, hérissé de fleurs d’ail des ours. Une fois encore, le chef vient en personne à chaque table, pour présenter le plat et l’agrémenter d’une sauce dont il détient le secret.
Dîner spectacle. Comme dans les tables avant-gardistes du nord de l’Europe, la cuisine est au centre de la salle et de l’attention. En se délectant des bouchées apéritives (ah, cette gougère à la fondue et aux tomates pimentées: une vraie merveille), les convives attablés peuvent voir à l’œuvre les huit jeunes cuisiniers qui communiquent en… anglais. Gilles Varone les a recrutés via son réseau à Londres, où il a travaillé avec l’un ou l’autre pendant les sept ans qu’il a passés entre le Mosimann’s Private Club et le Bibendum: ils sont slovaques, belges, italiens et français. À l’évidence, quand ils s’affairent autour du Green Egg, ils sont mus par une même passion du geste sûr, du dressage impeccable, de l’équilibre idéal. En salle, c’est Létizia, l’épouse de Gilles qui a l’œil à tout et qui veille sur le ballet d’une équipe attentive, aimable et prévenante. Les collectionneurs de bonnes tables reconnaitront aussi Lise Donier Meroz, la jeune sommelière exploratrice précédemment applaudie aux Toursites, à Martigny. Ici, elle ne se contente pas de proposer des accords mets-vins d’une rare justesse. Elle parle avec tout autant de précision et de malice des délicieuses boissons sans alcool proposées avec chaque plat: la démarche est moderne, le résultat plus que convaincant.
Un commencement qui finit en beauté. Ce premier service jalonné de plats les uns plus épatants que les autres (le consommé printanier à l’oignon et au céleri est d’une fraîcheur et d’une intensité exemplaires; la morille farcie et son émulsion au vin jaune se révèle délectable; le pré-dessert de pissenlit en glace et de thym citronné est espiègle et vivifiant), se devait de finir en beauté. C’est le cas avec la rhubarbe. Elle arrive associée à l’estragon «du jardin». Dressée en forme de rose nimbée d’un jus doux et stimulant, elle est assortie d’une chantilly à l’estragon et parsemée de poivre rose. De bout en bout, ce premier menu est un enchantement. Pour y goûter, dans la belle salle au mobilier élégant de bois blond et de cuir clair, il faudra cependant s’y prendre vite. Les 25 places du restaurant affichent quasiment complet pour les trois prochains mois.