Texte: François Busson Photos: François Busson

Vigneron atypique, ne serait-ce que par le terroir où il opère, Christian Dugon s’est bâti une solide réputation de précurseur dans la mise en culture de nouveaux cépages ainsi que de maître dans le domaine des assemblages rouges. Ceci, tout en demeurant un véritable homme de la terre, fortement ancré dans son terroir du Nord vaudois.

Christian Dugon

Des chevaux, des vaches, des poules et un magnifique bouvier bernois nommé Cannelle, c’est l’arche de Noé de Christian Dugon.

Christian Dugon, en arrivant chez vous, on a l’impression de pénétrer dans une ferme, pas dans une exploitation viticole…

Parce que c’est une ferme, même si mon métier, c’est la vigne. J’ai fait toute ma formation à Changins avant d’hériter des vignes de mon père et de reprendre le domaine agricole de mon oncle. Aujourd’hui, je cultive 6 hectares de vignes et 45 hectares en grandes cultures et un peu fourrage pour mes 20 vaches allaitantes. Cette mixité est fréquente dans la région des Côtes-de-l’Orbe. Le vignoble faisait 400 hectares au début du XIXe siècle et Orbe était la plus grosse commune viticole du canton. Et puis il y a eu le grand gel de 1956, puis l’implantation de Nestlé qui a détourné pas mal de monde de l’agriculture, et on se retrouve aujourd’hui avec seulement 170 hectares. Sur Bofflens, il n’y a d’ailleurs plus de vignes, mes parchets se répartissent entre Corcelles-près-Chavornay, Mathod, Arnex et Agiez. Avec un seul employé à plein temps, il y a du boulot, même si on a pas mal mécanisé le travail.

Christian Dugon

Un rang labouré et enrichi en fumier sur deux pour favoriser l’humidité du sol sur ce parchet des Côtes-de-l’Orbe.

Agriculteur et viticulteur, les deux sont compatibles?

Ça a l’avantage que l’on n’a pas tous ses œufs dans le même panier! Les années de gel, je suis bien content d’avoir la ferme à côté. Et grâce au bétail, j’ai de la matière organique à épandre dans mes vignes. Cela nous ouvre également sur des techniques culturales différentes.

 

Les Côtes-de-l’Orbe, ce n’est de loin pas le vignoble le plus connu du canton de Vaud…

Cela tient au fait que, pendant longtemps, toutes les vendanges passaient par une cave coopérative qui les centralisait avant de les livrer à des négociants de La Côte ou de Lavaux pour la vinification. Lorsque j’ai commencé, en 82, il ne restait qu’un encaveur et j’étais pratiquement le seul à faire mon vin. Aujourd’hui, on n’est qu’une dizaine à posséder des installations de vinification.

Christian Dugon

Christian Dugon produit 80% de rouges.

Quels sont les atouts de ce vignoble?

Son climat sec avec une moyenne de 700 millimètres de pluie par an contre 1000 à 1200 au bord du lac. Cela convient bien aux rouges et on est d’ailleurs la seule appellation vaudoise à vinifier entre 70 et 80% de rouges: les classiques, pinots et gamays, et de plus en plus de garanoir et de gamaret pour ce qui me concerne. Au niveau des températures, on est un peu plus froid, avec des risques de gelées plus importants au printemps. Ç’a été le cas en 2017 et 2019, l’année dernière, où il a gelé le 6 mai. J’ai d’ailleurs fait la plus petite récolte de ma carrière, la moitié d’une année ordinaire, où je produis entre 40 000 et 50 000 bouteilles, vendues pour plus de 60% à des privés, 20% à la restauration et le reste chez des grossistes comme Mosca Vins.

 

Quel a été pour vous l’impact de la crise du coronavirus?

Difficile à évaluer pour le moment, d’autant plus qu’on avait fait une vente par Qoqa juste avant qui a très bien marché. Par contre, je rate le Paléo avec mes confrères d’Arte Vitis et la restauration est au point mort. Je limite la casse avec ma clientèle privée, qui a continué à venir acheter à la cave.

Christian Dugon

Quelques spécialités de cet as des assemblages et découvreur de nouveaux cépages: divico, savagnin blanc et gamaret X humagne.

Vous avez fait le choix de la production intégrée plutôt que du bio…

Je préfère tester des cépages résistant naturellement aux maladies et qui me permettent de traiter un minimum. Le divico, créé à Changins, est un bon exemple, mais j’ai également des gamarets croisés avec du nebbiolo (on n’est que deux à en faire dans le canton!), du merlot ou de l’humagne (des croisements résistant à la pourriture) et des cabernets noirs résistant au mildiou. Par ce biais-là, on assure quand même une production sans avoir à sulfater avec du cuivre à chaque fois que vous avez 30 millimètres de pluie, comme cela se fait en bio. Je pense que l’avenir est plutôt dans cette direction, surtout avec ces grosses chaleurs qui surviennent dorénavant en été.

 

Comment voyez-vous l’avenir?

Au jour le jour… Je me fais beaucoup de souci quant à la reprise de la restauration. Même pour les meilleures tables comme Crisci ou le Lausanne Palace, qui sont clients chez nous.