Al fresco. On l'avait quitté en octobre dernier, lors de la réouverture. Le Restaurant Anne-Sophie Pic (18/20), niché sous les ors du Beau-Rivage Palace à Lausanne, s'était dévoilé au public, avec un décor et une scénographie revus de pied en cap. Un triomphe? Certainement. Et encore, ce n'était pas tout, nous avait-on prévenus. Avec les inévitables retards dans les travaux, et d'évidentes velléités de rouvrir à tout prix avant la sortie des guides gastronomiques, les équipes d'Anne-Sophie Pic avaient promis l'ouverture prochaine d'une «grande table du jardin». C'est désormais chose faite.
Un cadre poétique. L'imposant autel de 14 couverts est situé, comme son nom le laisse entendre, dans le jardin du palace, juste en-dessous de la terrasse du restaurant. Confortablement lovée sous une jolie tonnelle, la table est entourée de fleurs chamarrées, de gazon douillet et de jardinières de plantes aromatiques que le chef Jordan Theurillat vient récolter pour ses plats. Un cadre horticole, doux et apaisant, en un mot poétique. Deux précisions de la part du personnel. Nul besoin d'être 14 pour s'attabler ici, ni d'y rester cloué. «La cheffe a imaginé ce restaurant comme un espace dans lequel on peut se déplacer», nous dit-on. Comprenez que l'on peut prendre l'apéritif dehors, et poursuivre dedans, ou sur la terrasse, et pourquoi pas déguster l'un des plats à la «table de création», vaste comptoir propice à la découverte des accords mets et boisson.
La qualité et la pertinence des boissons ont des longueurs d'avance sur bien des établissements. Ici, le cocktail Mirage Lacustre à base de Chartreuse jaune, bière au raisin, concombre, géranium et genmaïcha.
La table est nichée dans un écrin de verdure propice à la détente.
Imprégnation. En ce mois de juin enfin ensoleillé, c'est pour un déjeuner que nous avions rendez-vous. Les équipes voulaient nous faire découvrir le lunch d'Anne-Sophie Pic, qui alterne deux cartes toutes les deux semaines. Ce midi étoilé débute avec une assiette autour du petit pois au thé gyokuro de la boutique Tea Repertoire (Carouge). Imprégnation oblige, le plat démarre sur cette association, avant de dérouler d'autres saveurs, des notes salines émanant du thé, puis d'autres plus résineuses provenant d'un gel de sapin, et un festival de textures dont un doux crémeux à la brousse de brebis fumée. Un délice printanier, tout en poésie et en légèreté.
Café Paragon. Vient ensuite une côtelette d'agneau d'Appenzell mariné au fromage du Mont-Gibloux, que la cheffe utilise également dans ses fameux berlingots. En guise d'accompagnement, de petits bonbons de blettes farcis du même fromage, et un condiment douceâtre aux olives, absolument divin. Fidèle à son soin porté aux boissons, notamment sans alcool, ce plat fut servi avec un café. Mais pas n'importe lequel: Pic oblige, il s'agissait d'un rare cru de variété Geisha préparé selon une méthode dite «Paragon». Grâce à un procédé unique incluant une bille d'inox refroidie à très basse température, le procédé extrait de 40 à 60% de composés aromatiques en plus qu'une extraction classique. En bouche, ce n'est plus un café, mais un nectar qui tient la dragée haute à bien des vins. Épatant.
Une entrée du déjeuner Pic: petits pois et thé gyokuro, tilleul, crémeux à la brousse de brebis fumée.
Agneau d'Appenzell mariné au fromage du Mont-Gibloux, jus d'agneau, «bonbons» de blettes au brebis. Le condiment aux olives est renversant!
Le dessert à la cerise du chef pâtissier Baptiste Tisserand, parfaitement dans l'univers d'Anne-Sophie Pic.
Boisson magistrale au dessert. Quant au dessert signé Baptiste Tisserand, il portait la cerise folfer au firmament, avec un travail autour du fruit en coulis, poché et en sorbet, parfumée à la marjolaine et rehaussée d'un chocolat Sambirano de la maison Felchlin. Et là encore, d'un remarquable accord: tel un New York Sour, le cocktail sans alcool proposé mariait une infusion à la menthe et au cacao, un subtil sirop de café, et d'épaisses volutes de jus de cerise au fond du verre. Une boisson frisson tellement précise qu'elle en aurait presque éclipsé ce délicieux dessert, si élégant.
Jardin des Hespérides. Avec cette table, Jordan Theurillat et son équipe du Swiss Deluxe Hotel ajoutent encore à l'expérience déjà sublime du restaurant en emmenant les convives dans ce somptueux jardin des Hespérides. Dans la mythologie grecque, celles-ci sont connues comme les nymphes du couchant. Le prétexte pour y retourner le soir est déjà tout trouvé!
Le Restaurant Anne-Sophie Pic à Lausanne
Photos: Beau Rivage Palace, Fabien Goubet, Groupe Pic, Anthony Demière